Déontologie des journalistes : mythe ou réalité ?

 
Source de l'information : http://www.cfpj.com/d_cfj/d4_productions_cfj/d42_cfj_deontologie_2001/theme5/theme5_sujet1.html

Déontologie des journalistes : mythe ou réalité ?

Thèmes abordés dans ce dossier:

"Un journaliste, digne de ce nom, garde le secret professionnel"

Le secret professionnel > Victor Robert, les Bretons, et la protection des sources

Le 23 avril 2000, Victor Robert, journaliste de l’Agence Capa se fait remettre, en mains propres, un communiqué de l’Armée Révolutionnaire Bretonne (ARB). Quatre jours plus tôt, un attentat a tué une employée du Mac Donald’s de Quévert (Côtes d’Armor).

Diffusé sur Canal +, le texte relance l’enquête policière. Le journaliste devient suspect. C’est, selon lui, « sous pression » qu’il révèle à la police les noms de ses contacts. « Coup de filet et troublantes révélations », titre « Le Télégramme de Brest » (3 mai 2000).

Le journaliste peut-il toujours faire valoir son droit à la protection des sources? « Les antiterroristes, ce ne sont pas les gendarmes de Saint-Tropez », se défend Victor Robert, aujourd’hui poursuivi par les militants bretons pour n’avoir pas su se taire en garde-à-vue.

Les faits
L’enquête
Victor Robert : « Je ne pouvais pas nier des preuves. »
Me Tcholakian, avocat des militants bretons: Ne plus « violer un principe fondamental »
Me Bigot, spécialisé en droit de la presse :
« La protection des sources, pierre angulaire de la liberté de la presse »


Les textes fondamentaux

Rappel des faits

28 septembre 1999.
Un commando de huit hommes cagoulés et armés neutralise les gardiens du dépôt de la société Titanite SA à Plévin (Côtes d’Armor). Huit tonnes de dynamite, onze kilomètres de cordeau détonant et quelques 5750 détonateurs sont dérobés. Suite à ce vol, Victor Robert, journaliste à l’Agence Capa, part pour un premier reportage en Bretagne.

19 avril 2000.
Attentat contre le Mac Donald’s de Quévert, près de Dinan (Côtes d’Armor). « Bavure » ? Un minuteur défaillant a provoqué une explosion en plein jour. Laurence Turbec, 28 ans, employée du restaurant, est tuée.
On retrouve par ailleurs devant la Poste de Rennes un engin qui n’explose pas. Les analyses prouvent qu’à Quévert comme à Rennes, on a utilisé des lots provenant des stocks dérobés à Plévin.
Victor Robert part en Bretagne pour un second reportage.


L’enquête

30 avril 2000
Dans un communiqué diffusé dans le « Journal du Dimanche » et « Le Vrai Journal » de Canal + », l’Armée Révolutionnaire Bretonne (ARB) sous-entend que c’est la Direction de la surveillance du territoire (DST), le contre-espionnage, qui est responsable de la mort de Laurence Turbec. Selon ce texte, la DST a dérobé des explosifs après un attentat raté contre le Mac Donald’s de Pornic (Loire-Atlantique) et s’en est servie contre le restaurant de Quévert. Personne n’a entendu parler d’une action contre le Mac Do de Pornic. Son gérant et les gendarmes de la localité démentent.

1er mai 2000
Coup de théâtre : une bombe a bien explosé à Pornic. Le gérant reconnaît avoir trouvé, le 14 avril au matin, la porte vitrée de son établissement brisée. Les gendarmes, eux, n’ont alors pas jugé nécessaire de se déplacer : ils ont pensé à un acte de vandalisme et rédigé un faux PV. L’affaire prenant, suite au communiqué et aux révélations du gérant, un caractère plus sérieux, les membres de la Police Judiciaire (PJ) de Nantes se rendent sur place. Ils relèvent un « cratère de 30 cm de large et de 5 de profondeur, du papier plastifié de couleur rouge orangé comme celui qui servait à envelopper les explosifs de Quévert ».

La Division nationale antiterroriste (DNAT) oriente ses efforts vers une autre piste : Victor Robert. C’est lui qui a signé le reportage du « Vrai Journa l ». Lui, pense-t-on, qui a reçu le communiqué de l’ARB. En milieu d’après-midi, le journaliste, convoqué, arrive dans les locaux de la DNAT. Il en ressortira le lendemain soir, après 31 heures de garde à vue.

2 mai 2000
Neuf personnes sont à leur tour placées en garde à vue dans le cadre de l’attentat contre le Mac Donald’s de Quévert, « à la suite des révélations du journaliste de l’agence Capa », lira-t-on dans la presse (« Le Point », 5 mai 2000). Sept appartiennent au milieu nationaliste breton, parmi lesquelles Christian Georgeault, militant, et Gaël Roblin, porte-parole du groupe « Emgann » (Combat en breton), considéré comme la vitrine politique de l’ARB. Les deux autres sont des militants basques. Dans la voiture d’un des suspects, Pascal Laize, les enquêteurs ont trouvé un fer à souder, du fil électrique, un réveil et un détonateur.

Week-end du 6 mai 2000.
Cinq militants bretons sont écroués.

Au Mac Donald de Pornic (Loire-Atlantique), des planches de contreplaqué remplacent les vitres brisées par l’attentat effectivement commis dans la nuit du 13 avril 2000 - photo AFP

Victor Robert : « Je ne pouvais pas nier des preuves. »

Rédacteur à l’agence Capa, Victor Robert passe 31 heures en garde à vue dans les locaux de la Division nationale antiterroriste (DNAT) en mai 2000. La police cherche à savoir comment il a reçu le communiqué dans lequel l’ARB dément toute participation à l’attentat de Quévert. Doit-il répondre en donnant des noms ? Doit-il se taire en invoquant la protection des sources ? Victor Robert reconnaît avoir parlé, mais se défend d’être une « balance ». Pour lui, les droits des journalistes ne pèsent pas lourd en temps de lutte antiterroriste.

Interview

Pourquoi le communiqué vous a-t-il été remis ?
Avez-vous l’impression d’avoir commis des erreurs pour en arriver à une garde à vue?
Comment s’est passée votre garde-à-vue ?
Avez-vous subi des pressions de la part de la police ?
Vous ne pouviez pas, en garde à vue, ne rien dire en faisant simplement valoir la protection des sources ?
Quelles ont été les réactions de vos confrères journalistes ?
Où en sont les poursuites lancées contre vous par les avocats des militants bretons ?
Que retirez-vous aujourd’hui de cette affaire ?

Pourquoi le communiqué vous a-t-il été remis ?

La différence avec les autres journalistes qui ont couvert l’affaire de l’ARB, c’est que moi, je me suis intéressé à cette histoire bien avant l’attentat du Mac Do. J’ai fait une première enquête sur le vol d’explosif. Et comme je suis Breton, je voulais démontrer à ma rédaction, où tout le monde se marrait, qu’il y avait un vrai reportage à faire sur ce sujet.

On avait fait une première enquête de 3 ou 4 jours qui s’était bien passée. Mais elle n’avait pas donné suite. Ce n’était pas assez fort comme sujet. Moi j’ai continué à enquêter de mon côté, comme ça, quand je repassais en Bretagne. Et puis quand le Mac Do a explosé, et que Laurence Turbec a été tuée, à Paris, ils ont commencé à me prendre au sérieux et ils m’ont dit : « Tu repars le temps que tu veux, et tu ramènes un bon reportage. » Comme j’étais arrivé le premier, en octobre, pour le vol d’explosifs, j’avais plusieurs contacts. J’étais là depuis le début. C’est pour ça que Roblin m’a fait confiance. Pour cela aussi qu’il me remet la disquette le 23 avril 2000.

Avez-vous l’impression d’avoir commis des erreurs pour en arriver à une garde à vue?

Il y a eu des erreurs commises des deux côtés. Et si c’était à refaire, aussi bien pour les soi-disant membres de l’ARB que pour moi, on ne ferait pas les mêmes choses et on n’en serait pas là. La première erreur réside dans la manière de remettre le document. C’est quand même une première dans l’histoire du journalisme d’investigation ! Quand un journaliste reçoit un document, normalement, il reçoit une lettre anonyme, un fax, on lui remet un colis dans sa boîte aux lettres, mais pas une disquette en mains propres, devant témoins, en plein milieu d’un village comme Carhaix, surveillé par les anti-terroristes.

La deuxième erreur, c’est moi qui la commets en acceptant la disquette. Pourquoi je l’accepte ? Parce que je ne sais pas ce qu’il y a dedans. Je n’ai pas toutes les excuses. Si c’était à refaire, je ne la prendrais pas. Mais je dirais aux personnes de me la poster, de prendre plus de précautions.
Les deux erreurs, elles sont là. A partir de ce moment-là, c’est une avalanche de choses.

Comment s’est passée votre garde-à-vue ?

Quand je suis arrivé à la DNAT, ils m’ont demandé : « Qu’est-ce que vous pensez de l’affaire ? » Je leur ai donné mon opinion sans leur donner de noms. Au bout de deux ou trois heures, ils ont commencé à devenir un peu plus sévères. J’étais dans mes droits, je n’avais rien fait de mal. Je leur ai dit que je n’avais pas à leur dire qui j’avais rencontré. Alors, ils m’ont donné des noms qui étaient dans mon reportage (ndlr : Le second, diffusé la veille). Évidemment, je ne pouvais pas cacher que je les avais rencontrés. Ce qu’ils voulaient réellement savoir, c’est comment j’avais reçu la disquette. Comme ils n’avaient pas cette information, le juge a décidé de me mettre en garde-à-vue.

Avez-vous subi des pressions de la part de la police ?

Ils m’ont un peu pris pour un militant breton. Pour l’anecdote, quand je suis arrivé, mes premiers mots ont été « Je m’appelle Victor Robert, je suis né le 19 avril à Dinan ». Or l’attentat s’est passé un 19 avril, près de Dinan ! Je faisais beaucoup de fest-noz quand j’étais plus jeune. La brigade antiterroriste a mon CV. Au début, on ne m’a pas pris pour un jacobin qui vient démanteler les réseaux autonomistes bretons.

Je suis allé en garde à vue une première fois. J’ai nié au début. Mais une machine s’est mise en place : photos, écoutes, témoignages. Ils m’ont tout sorti. Roblin était sur écoute. Moi, j’étais sur écoute. On était suivi. Notamment, lors de mon deuxième reportage. Et si je pouvais protéger mes sources, je ne pouvais pas nier des preuves.

Entre temps, ils ont convoqué mon cameraman, mon ingénieur du son, mes deux rédacteurs en chef, la responsable informatique de l’agence. Ils pensaient qu’elle avait peut-être manipulé le document. Cinq personnes ont été placées en garde-à-vue, cinq personnes qui ont donné des témoignages différents.

Je leur ai donné des réponses pour les embourber : « La disquette a été posée dans la boîte aux lettres de Capa.» Mais ils avaient fait leur enquête et savaient très bien que la boîte aux lettres ne fonctionne pas de l’extérieur. Après, je leur ai dit : « Mais non, la disquette, je l’ai retrouvée dans la voiture, quelqu’un l’a posée dans la voiture. » À chaque fois que j’avançais quelque chose, ils me sortaient des preuves qui contredisaient mes propos.

Vous ne pouviez pas, en garde à vue, ne rien dire en faisant simplement valoir la protection des sources ?

Si, mais ça avait pris une telle ampleur ! Effectivement, je pouvais partir sur un combat de trois mois, aller vers la Cour européenne des droits de l’homme… Mais il y a eu un moment où toute cette somme de preuves a fait que je n’étais plus considéré comme un journaliste, mais comme un complice.

Les flics savaient tout ce que j’avais fait. La DNAT, ce ne sont pas les gendarmes de Saint- Tropez. L’officier m’a dit : « Voilà, tel jour, vous étiez habillé comme ça… Vous étiez à Carhaix, or le même jour, il y avait Gaël Roblin à Carhaix. Des témoins vous ont vu le rencontrer. » Sans compter que les militants autonomistes avaient aussi parlé. J’ai fini par avouer. À partir de là, ils en ont déduit ce qui s’est passé après…
Quelques semaines plus tard, Georgeault a déclaré que Gaël m’avait bien remis la disquette.

Quelles ont été les réactions de vos confrères journalistes ?

J’ai été surpris, il y en a quelques-uns qui m’ont appelé en me disant : « Tu es vraiment une balance, c’est lamentable. » J’ai côtoyé Roblin pendant six mois. S’il m’a donné le communiqué, c’est qu’il ne prenait pas pour une balance. Si j’étais une taupe, les flics ne m’auraient pas placé 31 heures en garde-à-vue.

D’autres journalistes disent : « Moi, tant que je n’ai pas vécu ça, je ne donne pas de leçon, car je ne sais pas comment j’aurais réagi. » Je pense que c’est la réponse la plus équilibrée.

Et enfin, il y a ceux qui m’ont dit : « T’es vraiment un connard. Il y a la mort de Laurence Turbec. Ils peuvent recommencer, flinguer quelqu’un dans 15 jours, et toi tu as le document dans la main et tu ne le files même pas aux flics. Tu vas avoir la mort d’une innocente sur la conscience ». Je ne me suis pas demandé ça parce que ma ligne était de ne rien dire. Jamais, je n’ai pensé à Laurence Turbec. Bien sûr, je suis désolé de sa mort, mais mon métier n’est pas d’être auxiliaire de police.

Les reproches que j’ai eus venaient de journalistes qui ont l’habitude de travailler avec la police. Moi je n’ai jamais appelé un flic pour avoir une information. Quand je suis arrivé chez eux, je n’étais pas leur ami. Ils me l’ont joué à la séduction pendant deux minutes, mais j’ai vite compris. J’étais pas préparé à toutes les preuves qui allaient me tomber dessus.
Finalement, je me suis retrouvé dans un étau : j’étais à la fois l’ennemi de la police parce que je n’ai pas voulu parler et celui des Bretons parce que soi-disant, j’avais filé des informations.

Où en sont les poursuites lancées contre vous par les avocats des militants bretons ?

Il y a déjà eu de petites audiences où à chaque fois ils déposent de nouvelles plaintes qui ne passent pas parce que l’article dit : « le journaliste peut ou peut ne pas livrer ses sources. » Donc juridiquement, je n’encours rien au niveau pénal.

De plus, quelles que soient mes déclarations, Christian Georgeault, qui était avec Gaël Roblin, a confirmé les faits. Il y a un article marrant dans Breizh Info où ils parlent du « pseudo Breton » Victor Robert. J’ai vécu 18 ans en Bretagne. Ma famille y est depuis des générations. Ils m’allument, et après, ils dénoncent les conditions de garde-à-vue des militants en disant : « Au bout de sept heures, ils n’ont pas eu une pause. » J’ai été interviewé pendant quatorze heures par trois flics qui tournaient. Je suis arrivé à 15 h et je suis entré en cellule à 4 h du matin. Je ne me plains pas, mais j’aimerais que les Bretons le prennent aussi en compte. Leurs avocats devraient plutôt dénoncer l’attitude de la police dans cette affaire.

Qu’est-ce qui motive ces poursuites ?

Ils n’ont aucune prise pour défendre leurs clients. Leur seule possibilité, c’est de se payer un journaliste même si ça ne change rien à la condamnation des militants. Roblin et Georgeault demandent aujourd’hui à leurs avocats de faire pression sur les médias.
Ce qu’ils veulent, c’est faire un procès médiatique. Dénoncer le fait qu’ils sont enfermés à cause de moi. Or, c’est une connerie et ils le savent.

Que retirez-vous aujourd’hui de cette affaire ?

On n’est pas formé pour affronter ce genre de situation. J’ai déjà eu affaire à la police dans ma vie, comme tous les jeunes, pour excès de vitesse ou d’autres trucs pas importants. Les flics, je les connaissais, je n’en avais pas peur.

Si j’ai été placé en garde-à-vue 31 heures , c’est que je ne suis pas arrivé en disant : « Je vais tout vous dire ». S’ils m’y ont mis tout ce temps, c’est que j’ai tenté de préserver mes sources.

La deuxième leçon, c’est que même un mec formé dans une école de journalisme ou dans une rédaction, tant qu’il n’a pas vécu ce genre de chose, ne peut pas y être préparé.

Dans les écoles, on doit rappeler cet article (ndlr, article 109 du code de procédure pénale) qui, à mon avis, est mal fait car il ne protège pas assez les journalistes. Je ne dis pas qu’il ne faut pas qu’on soit convoqué par la police, mais le cadre juridique n’est pas clair. Dans une affaire terroriste, les flics et les juges font ce qu’ils veulent, notamment avec ta famille. Les quelques-uns à m’avoir compris sont ceux qui l’ont vécu, comme Dominique Paganelli, de Canal +, qui travaille sur la Corse…

C’est vrai que cette histoire m’a bien pourri la tête. Mais j’ai eu l’impression de faire mon boulot et rien que mon boulot. J’ai appris beaucoup de choses sur le métier, le comportement des confrères, les manières - bonnes ou mauvaises - de la police. Je n’ai pas de conseil à donner, car chaque affaire est un cas d’école. Cependant, dans le cadre d’une affaire antiterroriste, les droits du journaliste sont facilement bafoués.



Me Tcholakian, avocat des militants bretons : Ne plus « violer un principe fondamental »

Gaël Roblin et Christian Georgeault, militants de Emgann, ont assigné Victor Robert devant la justice en vertu de l’article 1382 du code civil. Selon Me Gérard Tcholakian, leur avocat, Victor Robert, en livrant ses sources à la police, a commis une « faute qui est à l’origine de l’arrestation de Messieurs Roblin et Georgeault ». Pour réparation du préjudice subi, ils demandent le paiement du franc symbolique. La décision sera rendue début décembre 2001.

Interview

Pourquoi avoir engagé des poursuites contre Victor Robert ?
Existe-t-il des précédents à ce genre de poursuites ?


Pourquoi avoir engagé des poursuites contre Victor Robert ?

« La question de savoir si le journaliste peut ou doit protéger ses sources est une question débattue depuis un siècle. Toutes les chartes et conventions de la profession en Europe disent que le journaliste ne doit pas les révéler.

La législation, elle, est ambiguë : le texte laisse le droit au journaliste de donner ses sources.

(…) C’est en fait surtout un débat éthique de fond, une question passionnante. Dans notre cas, le journaliste révèle. Est-ce qu’il commet une faute ? (…) Le journaliste qui apprend que, dans trois heures, un attentat va être commis peut, bien sûr, se dire que, pour sauver des vies humaines, il doit parler. Victor Robert ne se situe pas du tout dans ce cas de figure. Il ne s’agissait pas d’une menace terroriste, mais seulement d’un communiqué de presse.

Ce que ne comprend pas sa défense, c’est que si on commence à violer ce principe fondamental, c’est la porte ouverte à toutes les dérives policières. On va vers davantage de perquisitions et de garde-à-vue pour les journalistes, vers toujours plus de poursuites judiciaires contre les rédactions. Et particulièrement en matière de terrorisme. Car pour les juges antiterroristes, s’il y a des attentats, c’est parce que la presse en parle. Alors, leur réponse est simple : “Cassons les journalistes”.

Existe-t-il des précédents à ce genre de poursuites ?

Pas à ma connaissance. Les précédents relatifs à la protection des sources concernent la situation inverse, c’est-à-dire le cas du journaliste poursuivi pour avoir refusé de donner ses sources. Il existe d’ailleurs un arrêt remarquable rendu par la Cour européenne des droits de l’homme. C’est l’arrêt Goodwin. Mais jusqu’alors il n’y a pas eu de décision concernant le cas du journaliste qui révèle ses sources.

S’il est reconnu que Victor Robert a commis une faute en révélant ses sources, un pas aura été franchi vers une reconnaissance juridique d’un droit au secret professionnel pour les journalistes. Ce qui permettrait de dépasser les simples obligations déontologiques établies par la profession elle-même. »


Me Bigot, avocat spécialisé en droit de la presse : « La protection des sources, pierre angulaire de la liberté de la presse »

Les journalistes ne peuvent pas, comme l’avocat ou le médecin, se prévaloir du secret professionnel. Me Christophe Bigot, avocat, présente, au regard de ce concept, l’idée et les fondements de la protection des sources ( écoutez )

La loi laisse au journaliste le choix de divulguer ou non sa source. Or comme l’explique Me Bigot, ce flou juridique le confronte parfois à un dilemme couvrir ses sources ou aider la justice ? ( écoutez )

Pour l’avocat parisien, le journaliste en garde-à-vue doit trancher en conscience (écoutez).

Cependant, une limite de taille vient entraver cette liberté presque totale du journaliste en matière de protection des sources ( écoutez ). Tout le problème réside dans l’absence de définition de cet « intérêt public majeur » qui autorise le juge à demander ses sources au journaliste. « L’intérêt public est un concept subjectif, variable d’une personne à une autre, précise Christophe Bigot, comme beaucoup de notions utilisées en droit de la presse, telles que l’honneur ou la dignité. »

L’avocat parisien estime, lui, que le droit des journalistes à la protection des sources est dans l’ensemble respecté par les juges. Cependant un problème nouveau a récemment émergé : celui des perquisitions effectuées au sein des organes de presse ( écoutez ).

Dans les textes

Trois textes fondamentaux posent les termes de la protection des sources :
Une référence : l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, rédigée en 1950.

Dans la Charte de Munich, approuvée en 1971 par la profession, la protection des sources figure au rang des devoirs. L’article 7 précise que le journaliste se doit de « garder le secret professionnel et ne pas divulguer la source d’informations obtenues confidentiellement ».

La base juridique en France reste l’article 109 du code de procédure pénale. Il précise que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des informations recueillies dans l'exercice de ses activités, est libre de ne pas en révéler l'origine. »
La loi laisse donc théoriquement au journaliste le choix de divulguer ou non sa source.