Déontologie des journalistes : mythe
ou réalité ?
Thèmes abordés dans ce dossier:
"Un journaliste, digne de ce nom, garde le secret professionnel"
Le secret professionnel > Victor Robert, les Bretons, et la protection des
sources
Le 23 avril 2000, Victor Robert, journaliste de l’Agence Capa se fait
remettre, en mains propres, un communiqué de l’Armée Révolutionnaire
Bretonne (ARB). Quatre jours plus tôt, un attentat a tué une employée du
Mac Donald’s de Quévert (Côtes d’Armor).
Diffusé sur Canal +, le texte relance l’enquête policière. Le journaliste
devient suspect. C’est, selon lui, « sous pression » qu’il révèle à la
police les noms de ses contacts. « Coup de filet et troublantes
révélations », titre « Le Télégramme de Brest » (3 mai 2000).
Le journaliste peut-il toujours faire valoir son droit à la protection des
sources? « Les antiterroristes, ce ne sont pas les gendarmes de
Saint-Tropez », se défend Victor Robert, aujourd’hui poursuivi par les
militants bretons pour n’avoir pas su se taire en garde-à-vue.
Les faits
L’enquête
Victor Robert : « Je ne pouvais pas nier des preuves. »
Me Tcholakian, avocat des militants bretons: Ne plus « violer un principe
fondamental »
Me Bigot, spécialisé en droit de la presse :
« La protection des sources, pierre angulaire de la liberté de la presse »
Les textes fondamentaux
Rappel des faits
28 septembre 1999.
Un commando de huit hommes cagoulés et armés neutralise les gardiens du
dépôt de la société Titanite SA à Plévin (Côtes d’Armor). Huit tonnes de
dynamite, onze kilomètres de cordeau détonant et quelques 5750 détonateurs
sont dérobés. Suite à ce vol, Victor Robert, journaliste à l’Agence Capa,
part pour un premier reportage en Bretagne.
19 avril 2000.
Attentat contre le Mac Donald’s de Quévert, près de Dinan (Côtes d’Armor).
« Bavure » ? Un minuteur défaillant a provoqué une explosion en plein
jour. Laurence Turbec, 28 ans, employée du restaurant, est tuée.
On retrouve par ailleurs devant la Poste de Rennes un engin qui n’explose
pas. Les analyses prouvent qu’à Quévert comme à Rennes, on a utilisé des
lots provenant des stocks dérobés à Plévin.
Victor Robert part en Bretagne pour un second reportage.
L’enquête
30 avril 2000
Dans un communiqué diffusé dans le « Journal du Dimanche » et « Le Vrai
Journal » de Canal + », l’Armée Révolutionnaire Bretonne (ARB) sous-entend
que c’est la Direction de la surveillance du territoire (DST), le
contre-espionnage, qui est responsable de la mort de Laurence Turbec.
Selon ce texte, la DST a dérobé des explosifs après un attentat raté
contre le Mac Donald’s de Pornic (Loire-Atlantique) et s’en est servie
contre le restaurant de Quévert. Personne n’a entendu parler d’une action
contre le Mac Do de Pornic. Son gérant et les gendarmes de la localité
démentent.
1er mai 2000
Coup de théâtre : une bombe a bien explosé à Pornic. Le gérant reconnaît
avoir trouvé, le 14 avril au matin, la porte vitrée de son établissement
brisée. Les gendarmes, eux, n’ont alors pas jugé nécessaire de se déplacer
: ils ont pensé à un acte de vandalisme et rédigé un faux PV. L’affaire
prenant, suite au communiqué et aux révélations du gérant, un caractère
plus sérieux, les membres de la Police Judiciaire (PJ) de Nantes se
rendent sur place. Ils relèvent un « cratère de 30 cm de large et de 5 de
profondeur, du papier plastifié de couleur rouge orangé comme celui qui
servait à envelopper les explosifs de Quévert ».
La Division nationale antiterroriste (DNAT) oriente ses efforts vers une
autre piste : Victor Robert. C’est lui qui a signé le reportage du « Vrai
Journa l ». Lui, pense-t-on, qui a reçu le communiqué de l’ARB. En milieu
d’après-midi, le journaliste, convoqué, arrive dans les locaux de la DNAT.
Il en ressortira le lendemain soir, après 31 heures de garde à vue.
2 mai 2000
Neuf personnes sont à leur tour placées en garde à vue dans le cadre de
l’attentat contre le Mac Donald’s de Quévert, « à la suite des révélations
du journaliste de l’agence Capa », lira-t-on dans la presse (« Le Point »,
5 mai 2000). Sept appartiennent au milieu nationaliste breton, parmi
lesquelles Christian Georgeault, militant, et Gaël Roblin, porte-parole du
groupe « Emgann » (Combat en breton), considéré comme la vitrine politique
de l’ARB. Les deux autres sont des militants basques. Dans la voiture d’un
des suspects, Pascal Laize, les enquêteurs ont trouvé un fer à souder, du
fil électrique, un réveil et un détonateur.
Week-end du 6 mai 2000.
Cinq militants bretons sont écroués.
Au Mac Donald de Pornic (Loire-Atlantique), des planches de contreplaqué
remplacent les vitres brisées par l’attentat effectivement commis dans la
nuit du 13 avril 2000 - photo AFP
Victor Robert : « Je ne pouvais pas nier des preuves. »
Rédacteur à l’agence Capa, Victor Robert passe 31 heures en garde à vue
dans les locaux de la Division nationale antiterroriste (DNAT) en mai
2000. La police cherche à savoir comment il a reçu le communiqué dans
lequel l’ARB dément toute participation à l’attentat de Quévert. Doit-il
répondre en donnant des noms ? Doit-il se taire en invoquant la protection
des sources ? Victor Robert reconnaît avoir parlé, mais se défend d’être
une « balance ». Pour lui, les droits des journalistes ne pèsent pas lourd
en temps de lutte antiterroriste.
Interview
Pourquoi le communiqué vous a-t-il été remis ?
Avez-vous l’impression d’avoir commis des erreurs pour en arriver à une
garde à vue?
Comment s’est passée votre garde-à-vue ?
Avez-vous subi des pressions de la part de la police ?
Vous ne pouviez pas, en garde à vue, ne rien dire en faisant simplement
valoir la protection des sources ?
Quelles ont été les réactions de vos confrères journalistes ?
Où en sont les poursuites lancées contre vous par les avocats des
militants bretons ?
Que retirez-vous aujourd’hui de cette affaire ?
Pourquoi le communiqué vous a-t-il été remis ?
La différence avec les autres journalistes qui ont couvert l’affaire de l’ARB,
c’est que moi, je me suis intéressé à cette histoire bien avant l’attentat
du Mac Do. J’ai fait une première enquête sur le vol d’explosif. Et comme
je suis Breton, je voulais démontrer à ma rédaction, où tout le monde se
marrait, qu’il y avait un vrai reportage à faire sur ce sujet.
On avait fait une première enquête de 3 ou 4 jours qui s’était bien
passée. Mais elle n’avait pas donné suite. Ce n’était pas assez fort comme
sujet. Moi j’ai continué à enquêter de mon côté, comme ça, quand je
repassais en Bretagne. Et puis quand le Mac Do a explosé, et que Laurence
Turbec a été tuée, à Paris, ils ont commencé à me prendre au sérieux et
ils m’ont dit : « Tu repars le temps que tu veux, et tu ramènes un bon
reportage. » Comme j’étais arrivé le premier, en octobre, pour le vol
d’explosifs, j’avais plusieurs contacts. J’étais là depuis le début. C’est
pour ça que Roblin m’a fait confiance. Pour cela aussi qu’il me remet la
disquette le 23 avril 2000.
Avez-vous l’impression d’avoir commis des erreurs pour en arriver à une
garde à vue?
Il y a eu des erreurs commises des deux côtés. Et si c’était à refaire,
aussi bien pour les soi-disant membres de l’ARB que pour moi, on ne ferait
pas les mêmes choses et on n’en serait pas là. La première erreur réside
dans la manière de remettre le document. C’est quand même une première
dans l’histoire du journalisme d’investigation ! Quand un journaliste
reçoit un document, normalement, il reçoit une lettre anonyme, un fax, on
lui remet un colis dans sa boîte aux lettres, mais pas une disquette en
mains propres, devant témoins, en plein milieu d’un village comme Carhaix,
surveillé par les anti-terroristes.
La deuxième erreur, c’est moi qui la commets en acceptant la disquette.
Pourquoi je l’accepte ? Parce que je ne sais pas ce qu’il y a dedans. Je
n’ai pas toutes les excuses. Si c’était à refaire, je ne la prendrais pas.
Mais je dirais aux personnes de me la poster, de prendre plus de
précautions.
Les deux erreurs, elles sont là. A partir de ce moment-là, c’est une
avalanche de choses.
Comment s’est passée votre garde-à-vue ?
Quand je suis arrivé à la DNAT, ils m’ont demandé : « Qu’est-ce que vous
pensez de l’affaire ? » Je leur ai donné mon opinion sans leur donner de
noms. Au bout de deux ou trois heures, ils ont commencé à devenir un peu
plus sévères. J’étais dans mes droits, je n’avais rien fait de mal. Je
leur ai dit que je n’avais pas à leur dire qui j’avais rencontré. Alors,
ils m’ont donné des noms qui étaient dans mon reportage (ndlr : Le second,
diffusé la veille). Évidemment, je ne pouvais pas cacher que je les avais
rencontrés. Ce qu’ils voulaient réellement savoir, c’est comment j’avais
reçu la disquette. Comme ils n’avaient pas cette information, le juge a
décidé de me mettre en garde-à-vue.
Avez-vous subi des pressions de la part de la police ?
Ils m’ont un peu pris pour un militant breton. Pour l’anecdote, quand je
suis arrivé, mes premiers mots ont été « Je m’appelle Victor Robert, je
suis né le 19 avril à Dinan ». Or l’attentat s’est passé un 19 avril, près
de Dinan ! Je faisais beaucoup de fest-noz quand j’étais plus jeune. La
brigade antiterroriste a mon CV. Au début, on ne m’a pas pris pour un
jacobin qui vient démanteler les réseaux autonomistes bretons.
Je suis allé en garde à vue une première fois. J’ai nié au début. Mais une
machine s’est mise en place : photos, écoutes, témoignages. Ils m’ont tout
sorti. Roblin était sur écoute. Moi, j’étais sur écoute. On était suivi.
Notamment, lors de mon deuxième reportage. Et si je pouvais protéger mes
sources, je ne pouvais pas nier des preuves.
Entre temps, ils ont convoqué mon cameraman, mon ingénieur du son, mes
deux rédacteurs en chef, la responsable informatique de l’agence. Ils
pensaient qu’elle avait peut-être manipulé le document. Cinq personnes ont
été placées en garde-à-vue, cinq personnes qui ont donné des témoignages
différents.
Je leur ai donné des réponses pour les embourber : « La disquette a été
posée dans la boîte aux lettres de Capa.» Mais ils avaient fait leur
enquête et savaient très bien que la boîte aux lettres ne fonctionne pas
de l’extérieur. Après, je leur ai dit : « Mais non, la disquette, je l’ai
retrouvée dans la voiture, quelqu’un l’a posée dans la voiture. » À chaque
fois que j’avançais quelque chose, ils me sortaient des preuves qui
contredisaient mes propos.
Vous ne pouviez pas, en garde à vue, ne rien dire en faisant simplement
valoir la protection des sources ?
Si, mais ça avait pris une telle ampleur ! Effectivement, je pouvais
partir sur un combat de trois mois, aller vers la Cour européenne des
droits de l’homme… Mais il y a eu un moment où toute cette somme de
preuves a fait que je n’étais plus considéré comme un journaliste, mais
comme un complice.
Les flics savaient tout ce que j’avais fait. La DNAT, ce ne sont pas les
gendarmes de Saint- Tropez. L’officier m’a dit : « Voilà, tel jour, vous
étiez habillé comme ça… Vous étiez à Carhaix, or le même jour, il y avait
Gaël Roblin à Carhaix. Des témoins vous ont vu le rencontrer. » Sans
compter que les militants autonomistes avaient aussi parlé. J’ai fini par
avouer. À partir de là, ils en ont déduit ce qui s’est passé après…
Quelques semaines plus tard, Georgeault a déclaré que Gaël m’avait bien
remis la disquette.
Quelles ont été les réactions de vos confrères journalistes ?
J’ai été surpris, il y en a quelques-uns qui m’ont appelé en me disant : «
Tu es vraiment une balance, c’est lamentable. » J’ai côtoyé Roblin pendant
six mois. S’il m’a donné le communiqué, c’est qu’il ne prenait pas pour
une balance. Si j’étais une taupe, les flics ne m’auraient pas placé 31
heures en garde-à-vue.
D’autres journalistes disent : « Moi, tant que je n’ai pas vécu ça, je ne
donne pas de leçon, car je ne sais pas comment j’aurais réagi. » Je pense
que c’est la réponse la plus équilibrée.
Et enfin, il y a ceux qui m’ont dit : « T’es vraiment un connard. Il y a
la mort de Laurence Turbec. Ils peuvent recommencer, flinguer quelqu’un
dans 15 jours, et toi tu as le document dans la main et tu ne le files
même pas aux flics. Tu vas avoir la mort d’une innocente sur la conscience
». Je ne me suis pas demandé ça parce que ma ligne était de ne rien dire.
Jamais, je n’ai pensé à Laurence Turbec. Bien sûr, je suis désolé de sa
mort, mais mon métier n’est pas d’être auxiliaire de police.
Les reproches que j’ai eus venaient de journalistes qui ont l’habitude de
travailler avec la police. Moi je n’ai jamais appelé un flic pour avoir
une information. Quand je suis arrivé chez eux, je n’étais pas leur ami.
Ils me l’ont joué à la séduction pendant deux minutes, mais j’ai vite
compris. J’étais pas préparé à toutes les preuves qui allaient me tomber
dessus.
Finalement, je me suis retrouvé dans un étau : j’étais à la fois l’ennemi
de la police parce que je n’ai pas voulu parler et celui des Bretons parce
que soi-disant, j’avais filé des informations.
Où en sont les poursuites lancées contre vous par les avocats des
militants bretons ?
Il y a déjà eu de petites audiences où à chaque fois ils déposent de
nouvelles plaintes qui ne passent pas parce que l’article dit : « le
journaliste peut ou peut ne pas livrer ses sources. » Donc juridiquement,
je n’encours rien au niveau pénal.
De plus, quelles que soient mes déclarations, Christian Georgeault, qui
était avec Gaël Roblin, a confirmé les faits. Il y a un article marrant
dans Breizh Info où ils parlent du « pseudo Breton » Victor Robert. J’ai
vécu 18 ans en Bretagne. Ma famille y est depuis des générations. Ils
m’allument, et après, ils dénoncent les conditions de garde-à-vue des
militants en disant : « Au bout de sept heures, ils n’ont pas eu une
pause. » J’ai été interviewé pendant quatorze heures par trois flics qui
tournaient. Je suis arrivé à 15 h et je suis entré en cellule à 4 h du
matin. Je ne me plains pas, mais j’aimerais que les Bretons le prennent
aussi en compte. Leurs avocats devraient plutôt dénoncer l’attitude de la
police dans cette affaire.
Qu’est-ce qui motive ces poursuites ?
Ils n’ont aucune prise pour défendre leurs clients. Leur seule
possibilité, c’est de se payer un journaliste même si ça ne change rien à
la condamnation des militants. Roblin et Georgeault demandent aujourd’hui
à leurs avocats de faire pression sur les médias.
Ce qu’ils veulent, c’est faire un procès médiatique. Dénoncer le fait
qu’ils sont enfermés à cause de moi. Or, c’est une connerie et ils le
savent.
Que retirez-vous aujourd’hui de cette affaire ?
On n’est pas formé pour affronter ce genre de situation. J’ai déjà eu
affaire à la police dans ma vie, comme tous les jeunes, pour excès de
vitesse ou d’autres trucs pas importants. Les flics, je les connaissais,
je n’en avais pas peur.
Si j’ai été placé en garde-à-vue 31 heures , c’est que je ne suis pas
arrivé en disant : « Je vais tout vous dire ». S’ils m’y ont mis tout ce
temps, c’est que j’ai tenté de préserver mes sources.
La deuxième leçon, c’est que même un mec formé dans une école de
journalisme ou dans une rédaction, tant qu’il n’a pas vécu ce genre de
chose, ne peut pas y être préparé.
Dans les écoles, on doit rappeler cet article (ndlr, article 109 du code
de procédure pénale) qui, à mon avis, est mal fait car il ne protège pas
assez les journalistes. Je ne dis pas qu’il ne faut pas qu’on soit
convoqué par la police, mais le cadre juridique n’est pas clair. Dans une
affaire terroriste, les flics et les juges font ce qu’ils veulent,
notamment avec ta famille. Les quelques-uns à m’avoir compris sont ceux
qui l’ont vécu, comme Dominique Paganelli, de Canal +, qui travaille sur
la Corse…
C’est vrai que cette histoire m’a bien pourri la tête. Mais j’ai eu
l’impression de faire mon boulot et rien que mon boulot. J’ai appris
beaucoup de choses sur le métier, le comportement des confrères, les
manières - bonnes ou mauvaises - de la police. Je n’ai pas de conseil à
donner, car chaque affaire est un cas d’école. Cependant, dans le cadre
d’une affaire antiterroriste, les droits du journaliste sont facilement
bafoués.
Me Tcholakian, avocat des militants bretons : Ne plus « violer un
principe fondamental »
Gaël Roblin et Christian Georgeault, militants de Emgann, ont assigné
Victor Robert devant la justice en vertu de l’article 1382 du code civil.
Selon Me Gérard Tcholakian, leur avocat, Victor Robert, en livrant ses
sources à la police, a commis une « faute qui est à l’origine de
l’arrestation de Messieurs Roblin et Georgeault ». Pour réparation du
préjudice subi, ils demandent le paiement du franc symbolique. La décision
sera rendue début décembre 2001.
Interview
Pourquoi avoir engagé des poursuites contre Victor Robert ?
Existe-t-il des précédents à ce genre de poursuites ?
Pourquoi avoir engagé des poursuites contre Victor Robert ?
« La question de savoir si le journaliste peut ou doit protéger ses
sources est une question débattue depuis un siècle. Toutes les chartes et
conventions de la profession en Europe disent que le journaliste ne doit
pas les révéler.
La législation, elle, est ambiguë : le texte laisse le droit au
journaliste de donner ses sources.
(…) C’est en fait surtout un débat éthique de fond, une question
passionnante. Dans notre cas, le journaliste révèle. Est-ce qu’il commet
une faute ? (…) Le journaliste qui apprend que, dans trois heures, un
attentat va être commis peut, bien sûr, se dire que, pour sauver des vies
humaines, il doit parler. Victor Robert ne se situe pas du tout dans ce
cas de figure. Il ne s’agissait pas d’une menace terroriste, mais
seulement d’un communiqué de presse.
Ce que ne comprend pas sa défense, c’est que si on commence à violer ce
principe fondamental, c’est la porte ouverte à toutes les dérives
policières. On va vers davantage de perquisitions et de garde-à-vue pour
les journalistes, vers toujours plus de poursuites judiciaires contre les
rédactions. Et particulièrement en matière de terrorisme. Car pour les
juges antiterroristes, s’il y a des attentats, c’est parce que la presse
en parle. Alors, leur réponse est simple : “Cassons les journalistes”.
Existe-t-il des précédents à ce genre de poursuites ?
Pas à ma connaissance. Les précédents relatifs à la protection des sources
concernent la situation inverse, c’est-à-dire le cas du journaliste
poursuivi pour avoir refusé de donner ses sources. Il existe d’ailleurs un
arrêt remarquable rendu par la Cour européenne des droits de l’homme.
C’est l’arrêt Goodwin. Mais jusqu’alors il n’y a pas eu de décision
concernant le cas du journaliste qui révèle ses sources.
S’il est reconnu que Victor Robert a commis une faute en révélant ses
sources, un pas aura été franchi vers une reconnaissance juridique d’un
droit au secret professionnel pour les journalistes. Ce qui permettrait de
dépasser les simples obligations déontologiques établies par la profession
elle-même. »
Me Bigot, avocat spécialisé en droit de la presse : « La protection
des sources, pierre angulaire de la liberté de la presse »
Les journalistes ne peuvent pas, comme l’avocat ou le médecin, se
prévaloir du secret professionnel. Me Christophe Bigot, avocat, présente,
au regard de ce concept, l’idée et les fondements de la protection des
sources ( écoutez )
La loi laisse au journaliste le choix de divulguer ou non sa source. Or
comme l’explique Me Bigot, ce flou juridique le confronte parfois à un
dilemme couvrir ses sources ou aider la justice ? ( écoutez )
Pour l’avocat parisien, le journaliste en garde-à-vue doit trancher en
conscience (écoutez).
Cependant, une limite de taille vient entraver cette liberté presque
totale du journaliste en matière de protection des sources ( écoutez ).
Tout le problème réside dans l’absence de définition de cet « intérêt
public majeur » qui autorise le juge à demander ses sources au
journaliste. « L’intérêt public est un concept subjectif, variable d’une
personne à une autre, précise Christophe Bigot, comme beaucoup de notions
utilisées en droit de la presse, telles que l’honneur ou la dignité. »
L’avocat parisien estime, lui, que le droit des journalistes à la
protection des sources est dans l’ensemble respecté par les juges.
Cependant un problème nouveau a récemment émergé : celui des perquisitions
effectuées au sein des organes de presse ( écoutez ).
Dans les textes
Trois textes fondamentaux posent les termes de la protection des sources :
Une référence : l’article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des
Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales, rédigée en 1950.
Dans la Charte de Munich, approuvée en 1971 par la profession, la
protection des sources figure au rang des devoirs. L’article 7 précise que
le journaliste se doit de « garder le secret professionnel et ne pas
divulguer la source d’informations obtenues confidentiellement ».
La base juridique en France reste l’article 109 du code de procédure
pénale. Il précise que « tout journaliste, entendu comme témoin sur des
informations recueillies dans l'exercice de ses activités, est libre de ne
pas en révéler l'origine. »
La loi laisse donc théoriquement au journaliste le choix de divulguer ou
non sa source.
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