Affaire Madi contre France

COUR EUROPEENNE DES DROITS DE L'HOMME DEUXIÈME SECTION


AFFAIRE MADI c. FRANCE
(Requête no 51294/99)


ARRÊT
(règlement amiable)

STRASBOURG
27 avril 2004


Cet arrêt est définitif. Il peut subir des retouches de forme.


En l'affaire Madi c. France,

La Cour européenne des Droits de l'Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

MM. A.B. Baka, président,

J.-P. Costa,
C. Bîrsan,
K. Jungwiert,

V. Butkevych,
M. Ugrekhelidze,
Mme A. Mularoni, juges,
et de Mme S. Dollé, greffière de section,
Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 avril 2004,
Rend l'arrêt que voici, adopté à cette date :


PROCÉDURE

1. A l'origine de l'affaire se trouve une requête (no 51294/99) dirigée contre la République française et dont un ressortissant algérien, M. Abdelmadjid Madi (« le requérant »), a saisi la Cour le 2 août 1999 en vertu de l'article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2. Le requérant, qui a été admis au bénéfice de l'assistance judiciaire, est représenté par Me C. Dreyfus-Schmidt, avocate à Paris. Le gouvernement français (« le Gouvernement ») est représenté par son agent, M. Ronny Abraham, Directeur des Affaires juridiques au ministère des Affaires étrangères.

3. Le requérant alléguait avoir été victime d'une violation des articles 3 et 6 § 1 de la Convention, en raison de mauvais traitements qui lui auraient été infligés durant la garde à vue et de la durée de la procédure relative à sa plainte avec constitution de partie civile dirigée contre les policiers.

4. Le 19 février 2004, après un échange de correspondance, la greffière a proposé aux parties la conclusion d'un règlement amiable au sens de l'article 38 § 1 b) de la Convention. Les 26 février et 8 mars 2004 respectivement, le Gouvernement et le requérant ont présenté des déclarations formelles d'acceptation d'un règlement amiable de l'affaire.

EN FAIT

5. Le requérant est né en 1952 et réside à Ensisheim (France).

6. Le 26 novembre 1991, dans le cadre d'une commission rogatoire délivrée par un juge d'instruction du tribunal de grande instance de Bobigny et portant sur des infractions à la législation sur les stupéfiants, cinq fonctionnaires de police de la section des stupéfiants du service départemental de police judiciaire du département de la Seine-Saint-Denis (« SDPJ 93 »), dont MM. Hervé, Huraut, Staebler et Gautier, interpellèrent le requérant au domicile de son cousin.

7. La mesure de placement en garde à vue, commencée à huit heures trente, lui fut notifiée à onze heures cinq dans les locaux de la police. Le même jour, le requérant fut examiné par le docteur Aoustin, qui releva des doléances de « courbatures diffuses ».

8. Le 27 novembre 1991, la garde à vue ayant été prolongée pour une durée de quarante-huit heures, le docteur Aoustin nota la présence d'« hématome scapulaire droit » et « hématome abdominal » puis, le lendemain, la présence d'« hématomes diffus dorsaux, abdominaux et avant-bras, d'évolution satisfaisante », outre des « douleurs [au] cuir chevelu [et des] courbatures ».

9. Le 28 novembre 1991, la garde à vue prit fin à dix-huit heures.

10. Le 29 novembre 1991, le juge d'instruction inculpa M. Madi d'infractions à la législation sur les stupéfiants et le mit en détention provisoire. En outre, il désigna le docteur Garnier, médecin légiste, afin de procéder à un examen de l'état de santé de M. Madi et d'une autre personne arrêtée le 25 novembre 1991, mise en examen pour les mêmes faits, M. Ahmed Selmouni [cf. l'arrêt Selmouni c. France [GC], no 25803/94, CEDH 1999-V]. Le 7 décembre 1991, le docteur Garnier examina le requérant à la maison d'arrêt.

11. Par lettres du 8 janvier 1992 adressées au juge d'instruction et au procureur de la République, le requérant indiqua déposer « plainte pour tortures contre la brigade des stupéfiants de Bobigny ».

12. Le 29 janvier 1992, le parquet de Bobigny chargea l'Inspection générale des services de la police (IGS) d'une enquête.

13. Le 17 février 1992, le docteur Garnier déposa son rapport concernant une nouvelle expertise médicale de M. Madi, expertise ordonnée le 24 janvier et réalisée le 4 février 1992.

14. Par jugement du 7 décembre 1992, la treizième chambre du tribunal correctionnel de Bobigny condamna le requérant à treize ans d'emprisonnement, à l'interdiction définitive du territoire français et, concernant l'action civile de l'administration des douanes, à payer solidairement avec les autres prévenus une somme globale de vingt-quatre millions de francs. Par arrêt du 16 septembre 1993, la cour d'appel de Paris réduisit la peine d'emprisonnement à dix ans et confirma le jugement pour le surplus.

15. Le 22 février 1993, le procureur de la République de Bobigny requit l'ouverture d'une information contre X, du chef de coups et blessures volontaires avec arme et sur personne hors d'état de se protéger, concernant M. Madi et son coprévenu, M. Selmouni. Mme Mary, juge d'instruction au tribunal de grande instance de Bobigny, fut chargée de l'information.

16. Le 26 mars 1993, le requérant comparut devant la juge d'instruction et déclara se constituer partie civile.

17. Le 27 avril 1993, une commission rogatoire fut délivrée par la juge d'instruction au directeur de l'IGS, afin de procéder à toutes mesures utiles à la manifestation de la vérité. Elle fixa le délai pour la transmission des procès-verbaux au 15 juin 1993. Par commission rogatoire du 8 octobre 1993, la juge d'instruction réitéra sa demande formulée le 27 avril 1993, le délai fixé au 15 juin 1993 pour le dépôt des procès-verbaux n'ayant pas été respecté.

18. La juge d'instruction interrogea les parties civiles le 6 décembre 1993, après retour des commissions rogatoires le 2 décembre 1993, puis le 10 février 1994, date à laquelle une parade d'identification fut organisée aux fins de reconnaissance des policiers mis en cause. Envisageant la mise en examen des policiers désignés par les parties civiles, elle communiqua le dossier au ministère public le 1er mars 1994.

19. Le procureur de la République de Bobigny saisit le procureur général de Paris, lequel saisit ensuite la Cour de cassation.

20. Par arrêt du 27 avril 1994, la Cour de cassation décida de dessaisir la juge d'instruction de Bobigny au profit d'un juge du tribunal de grande instance de Versailles, dans l'intérêt d'une bonne administration de la justice. Le 22 juin 1994, Mme Françoise Carlier-Prigent, vice-présidente du tribunal chargée de l'instruction, se vit attribuer l'affaire.

21. Le 7 mars 1996, le requérant fut entendu.

22. Le 21 octobre 1996, la juge d'instruction adressa des avis de mise en examen aux policiers mis en cause, lesquels firent l'objet d'un interrogatoire de première comparution les 10, 24 et 31 janvier 1997, ainsi que le 28 février 1997.

23. Les 14 mai et 10 juin 1997, la juge d'instruction interrogea le docteur Aoustin et le professeur Garnier. Le 4 mai 1998, désigné à nouveau par la juge pour examiner le dossier médical pénitentiaire du requérant, le professeur Garnier déposa son rapport. Le 18 juin 1998, il rendit un dernier rapport suite à une demande de complément d'expertise.

24. Une confrontation entre le requérant et les quatre policiers mis en cause fut organisée le 24 juin 1998.

25. Le 25 août 1998, la juge d'instruction notifia un avis à partie signifiant la fin de l'instruction au requérant. Le 15 septembre 1998, le dossier d'instruction fut communiqué au procureur de la République, lequel prit son réquisitoire définitif le 19 octobre 1998.

26. Par ordonnance du 21 octobre 1998, la juge d'instruction renvoya les quatre policiers concernés devant le tribunal correctionnel des chefs de violences volontaires commises par personnes dépositaires de l'autorité publique et ayant entraîné une incapacité totale de travail de vingt-et-un jours.

27. Par jugement du 25 mars 1999, le tribunal correctionnel de Versailles déclara les policiers coupables des faits reprochés, les condamna à des peines d'emprisonnement et accorda des dommages-intérêts au requérant.

28. Par arrêt du 1er juillet 1999, la cour d'appel de Versailles déclara les policiers coupables de « coups et blessures volontaires avec ou sous la menace d'une arme, ayant occasionné une incapacité totale de travail inférieure à huit jours pour Selmouni et supérieure à huit jours pour Madi, par des fonctionnaires de police à l'occasion de l'exercice de leurs fonctions et sans motif légitime ». Elle condamna les policiers à des peines d'emprisonnement, principalement avec sursis, et, sur l'action civile, les condamna à payer solidairement des dommages-intérêts au requérant. Ce dernier ne forma pas de pourvoi en cassation.

29. Par arrêt du 31 mai 2000, la Cour de cassation rejeta les pourvois formés par le procureur général près la cour d'appel de Versailles et les policiers.

EN DROIT

30. Le 26 février 2004, la Cour a reçu du Gouvernement la déclaration suivante :
« Je déclare qu'en vue d'un règlement amiable de l'affaire susmentionnée, le gouvernement français offre de verser à M. Abdelmadjid Madi, la somme de 99 091 € (quatre-vingt-dix-neuf mille quatre-vingt-onze euros) dans les trois mois suivant la date du prononcé de l'arrêt de la Cour rendu conformément à l'article 39 de la Convention européenne des Droits de l'Homme. Ce versement vaudra règlement définitif de l'affaire. A défaut de règlement dans ledit délai, le Gouvernement s'engage à verser, à compter de l'expiration de celui-ci et jusqu'au règlement effectif de la somme en question, un intérêt simple à un taux qui sera égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne, augmenté de trois points de pourcentage.
La présente déclaration n'implique de la part du Gouvernement de la France aucune reconnaissance d'une violation de la Convention européenne des Droits de l'Homme en l'espèce.
En outre, le Gouvernement s'engage à ne pas demander le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre conformément à l'article 43 § 1 de la Convention. »

31. Le 8 mars 2004, la Cour a reçu la déclaration suivante, signée par le requérant :
« Je note que le gouvernement français est prêt à verser à M. Abdelmadjid Madi la somme de 99 091 € (quatre-vingt-dix-neuf mille quatre-vingt-onze euros) en vue d'un règlement amiable de l'affaire ayant pour origine la requête susmentionnée pendante devant la Cour européenne des Droits de l'Homme.
J'accepte cette proposition et renonce par ailleurs à toute autre prétention à l'encontre de la France à propos des faits à l'origine de ladite requête. Je déclare l'affaire définitivement réglée.
La présente déclaration s'inscrit dans le cadre du règlement amiable auquel le Gouvernement et moi-même sommes parvenus.
En outre, je m'engage à ne pas demander, après le prononcé de l'arrêt, le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre conformément à l'article 43 § 1 de la Convention. »

32. La Cour prend acte du règlement amiable auquel sont parvenues les parties (article 39 de la Convention). Elle est assurée que ce règlement s'inspire du respect des droits de l'homme tels que les reconnaissent la Convention ou ses Protocoles (articles 37 § 1 in fine de la Convention et 62 § 3 du règlement).

33. Partant, il convient de rayer l'affaire du rôle.



PAR CES MOTIFS, LA COUR , À L'UNANIMITÉ,

1. Décide de rayer l'affaire du rôle ;
2. Prend acte de l'engagement des parties de ne pas demander le renvoi de l'affaire à la Grande Chambre.
Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 avril 2004 en application de l'article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

S. Dollé A.B. Baka

Greffière Président