Témoignage sur les méthodes utilisées par la DNAT et sur celles de la justice françaises
TEMOIGNAGE
Je voudrais apporter mon témoignage sur les méthodes utilisées par la DNAT et
sur celles de la justice françaises lorsqu’on a le malheur d’être soupçonné
d’être impliqué dans des activités terroristes, ce mot qui fait peur – à juste
titre – mais qui sert aussi à justifier de graves manquements à la Justice et
aux Droit de l’Homme.
CAS DE MON FILS
En décembre 1999, nous avons été réveillés à 6 h du matin, mon fils, nos voisins
et moi par 2 policiers de la DNAT et un de la police judiciaire de Rennes qui
venaient perquisitionner la chambre de mon fils, brandissant une « Commission
Rogatoire pour implication dans une entreprise terroriste ». La perquisition a
duré deux heures et mon fils était très stressé. J’ai essayé de croire à une
erreur, un malentendu. Mais les policiers sont partis en emmenant mon fils en
garde à vue et notre ordinateur, écran et clavier compris, pour expertise.
Mon fils (21 ans) a passé deux jours et demi en garde à vue en subissant
l’intimidation due aux lieux et à ses rites, l’isolement total durant les poses
interminables dans le froid et la saleté de la cellule, la pression des
interrogatoires, savant mélange d’humour complice et de menaces. Bref, deux
jours et demi de peur, une peur qui persiste de retour chez soi, qui réveille
tous les jours à 6 h du matin, fait sursauter à la sonnerie du téléphone, pousse
à fermer toutes les portes à clé sans pour autant jamais se sentir en sécurité.
Et pourtant rien n’a été retenu à la charge de mon fils.
Ce qui n’a pas empêché que son ordinateur qui était aussi le mien ne nous ait
été restitué qu’un an et demi plus tard en dépit d’innombrables courriers sans
réponse. Il m’a fallu aller le chercher à Paris à mes frais. En attendant, nous
avions fini par racheter un autre ordinateur pour que mon fils puisse terminer
sa maîtrise.
LES AUTRES CAS
Un épisode comme celui-là a l’avantage de vous ouvrir sur un monde que vous ne
soupçonniez même pas. J’ai découvert le milieu des militants bretons qui nous a
chaleureusement entouré. Nous nous sommes sentis compris par tous les autres
bretons ayant subi un sort égal au nôtre ou beaucoup plus grave.
En effet, nous avons réalisé que notre perquisition avait été très « soft » par
rapport à d’autres tellement plus brutales, certaines en présence d’enfants.
Plus tard, nous avons appris que, entre septembre 1999 et septembre 2001, 150
interpellations de ce type avaient eu lieu dans les milieux bretons, la plupart
se terminant par une libération, aucune charge n’ayant été retenue.
DETENTION PROVISOIRE
Dans d’autres cas, les arrestations se soldent par une mise en détention
provisoire. Les bretons sont alors incarcérés loin de leur famille dans
différentes prisons de la région parisienne, pour rester à la disposition de la
justice le temps de l’instruction.
Le problème c’est que l’instruction, dans les cas qui nous intéressent, est
interminable. Certains détenus n’ont pas été auditionnés une seule fois en neuf
mois.
Et même une fois l’instruction terminée, ce qui est le cas en ce moment, la
justice refuse toujours de mettre les détenus en liberté surveillée jusqu’au
procès, procès dont la date serait maintenant fixée à mars 2004.
Comment la justice française peut-elle justifier de prolonger indéfiniment ces
détentions provisoires, la durée maximum de deux ans étant préconisée par la
Convention Européenne des Droits de l’Homme ?
En effet, sur les cinq militants bretons actuellement détenus dans les prisons
de la région parisienne, quatre d’entre eux y sont depuis plus de 3 ans, deux
d’entre eux ont des problèmes graves de santé, l’un de ces deux malades étant
Alain Solé qui entame sa cinquième année de détention provisoire.
Comment la justice française peut-elle justifier de garder emprisonné depuis
octobre 1999 - alors qu’il n’a toujours pas été jugé et donc pas reconnu
coupable - un grand malade comme l’est Alain Solé ?
- Alain Solé, diabétique, est devenu insulinodépendant en prison ;
- opéré d’un triple pontage coronarien, puis ayant subi une intervention à la
jambe, les médecins, y compris celui de la prison de Fresnes, s’accordent tous
sur un point : son état de santé est incompatible avec la prison où on ne peut
lui apporter les soins nécessaires.
Malgré ses demandes répétitives de mise en liberté pour cause de santé, la
justice persiste à lui refuser sa libération.
Pourtant, il existe bien une loi, la loi Kouchner du 4 mars 2002 qui stipule que
« la peine d’un prisonnier peut être suspendue …si l’on établit qu’il souffre
d’un état médical représentant un danger pour la vie ou que son état de santé
est incompatible à long terme avec la poursuite de la détention ». C’est en
application de cette loi que Maurice Papon, ancien préfet, a été libéré.
La Ligue des Droits de l’Homme et Amnesty International (rapport 2003) ont
manifesté leur désapprobation devant de tels manquements.
Amnesty International dans son rapport de l’année 2003 dénonce la détention
d’Alain Solé pour qui l’absence de soins en prison a contribué à l’aggravation
de sa maladie.
La Cour Européenne des Droits de l’Homme a condamné 62 fois la France cette
année, entre autre chose pour détention provisoire abusivement prolongée. Pour
abus de détention provisoire
Comment ne pas déduire qu’il y a en France une justice à deux vitesses, que
l’Etat français protège et justifie une police et une justice d’exception,
au-dessus des règles établies en respect du droit démocratique dont il se
réclame par ailleurs ?
La FIDH (Fédération Internationale des Droits de l’Homme) a exprimé son
inquiétude au sujet de la législation anti-terroriste française et demande à la
France de « supprimer l’incrimination d’association de malfaiteurs en relation
avec une entreprise terroriste, incrimination « fourre-tout » qui en pratique
repose sur un minimum de preuves objectives et indépendantes et sur un maximum
de spéculations, de déductions et d’insinuations.
La FIDH recommande aussi à la France de « réduire la durée de la détention
provisoire » et dénonce les lois d’exception en matière de lutte anti-terroriste
dans un rapport intitulé « La porte ouverte à l’arbitraire ».
Pour terminer je citerai ce passage d’une lettre d’un des prisonniers bretons,
Jérôme BOUTHIER, incarcéré à la prison de la Santé depuis bientôt deux ans,
jeune père d’un enfant qu’il n’a pas vu naître :
« Théoriquement, nous sommes présumés innocents, la réalité de la justice
française a fait de nous des pré-condamnnés, des condamnée avant l’heure, sans
jugement aucun… La justice française me soupçonne d’avoir tenté de commettre un
attentat, chose que je n’ai jamais faite. Aucune preuve, aucun témoignage ne
viennent corroborer ce soupçon. Et pour cause, je ne l’ai pas fait. Mais voilà
près de deux ans que je suis mis en détention, privé des miens. »
Madame B.F.