Les bagagistes de Quévert

 

Nos camarades vont donc passer devant la cour d’assises spéciale à une date encore indéterminée mais qui pourrait bien se situer à l’automne 2003. Ils y seront jugés pour des motifs criminels ou délictuels. Il est peut-être important aujourd’hui de revenir à ce qui les a amené dans cette situation.

Bien sûr il y a eu le vol d’explosifs de Plévin, avec pour nous encore beaucoup de mystères (1). Puis il y a eu le malheureux attentat du Mac Donald’s de Quévert, malheureux puisqu’il a coûté la vie à une innocente.

Pornic : un trou... de mémoire

Rappelez-vous Quévert et le déchaînement médiatique qui a suivi, orchestré par Madame Stoller responsable à l’époque du parquet antiterroriste de Paris. L’après-midi même du drame elle désignait les coupables, sans qu’aucune investigation n’ait été faite. Dès cet instant ce ne pouvait être que l’ARB et surtout sa vitrine légale (comme ils affirment) Emgann. Parmi une avalanche d’informations, une première chose surprenante : il y aurait eu un autre attentat contre un autre Mac Donald’s quelques temps auparavant. Au début, personne ne savait ce qui s’était passé, surtout pas le directeur de l’établissement qui démentait, puis confirmait. Les gendarmes non plus ne savaient pas, puisqu’ils avaient fait à quelques jours d’intervalle des procès verbaux contradictoires. Les journalistes qui se sont déplacés ont effectivement observé un petit cratère au sol et une ou deux vitres cassées. Pour quelques journalistes quand même, le cratère observé serait dû plus vraisemblablement à une scie plutôt qu’à l’impact d’une bombe artisanale, même de très faible puissance (2). Pour en revenir à Quévert, certaines autres informations filtrent. On aurait demandé à la gendarmerie de ne plus s’occuper de cette affaire pour laisser la DNAT et la PJ seules sur le terrain des investigations. Plus tard on entend des rumeurs comme quoi deux individus de nationalité espagnole appartenant probablement à la garde civile auraient été interceptés à Belle Isle le lendemain du drame avec un chargement suspect dans le coffre de leur voiture et reconduits illico à la frontière par les services compétents (déclaration d’un officier de police de Nantes un tantinet éméché qui a été muté depuis).

Vrais juges, fausses informations

Pour la section antiterroriste du parquet de Paris, Quévert sera un «prétexte inespéré» pour faire des investigations contre des militants envers lesquels elle n’avait jusqu’à présent que des suspicions de culpabilité afin d’élargir les enquêtes sur divers attentats commis en Bretagne de 1994 à 2000. Parallèlement, toujours en ne s’appuyant que sur des sources proches de l’enquête, les média en rajoutent en travestissant à chaque fois la vérité et en faisant fi de la présomption d’innocence et du secret de l’instruction. En dehors de ces sources, quelles investigations ont été menées ? Quelques mois plus tard le juge Thiel, en charge de ces différentes affaires, n’ayant sans doute pas assez d’éléments pour envoyer qui que ce soit aux assises spéciales uniquement sur l’affaire du Mac Donald’s, joindra le tout en un seul dossier. Dans quel article de presse est apparue la vacuité de ce dossier ?

La recette est toujours la même : au départ une information, vraie ou fausse, voire inventée ou provoquée de toute pièce, et les milieux proches de l’enquête lance l’hallali médiatique, reprise en choeur par tous les média, sans recherches contradictoires.

Récemment, trois événements liés une nouvelle fois à la section antiterroriste du parquet de Paris nous interpellent. Les deux premiers concernent les Basques. La tentative d’évasion de militants basques de la Santé, le projet d’assassinat de la juge Le Vert. C’est vrai ou c’est faux ? Info ? Intox ? Dans l’intérêt de qui ?

Le juge Thiel saute sur Roissy

Le troisième événement risque d’avoir des conséquences graves pour un homme nommé Abderazak Besseghir même s’il a maintenant retrouvé la liberté. Il a été désigné, toujours par des milieux proches de l’enquête, comme étant terroriste islamiste d’un nouveau type, accusation reprise par tous les média avec une violence ahurissante. Samedi 28 décembre 2002. Grâce au renseignement d’un témoin, la police de l’air et des frontières de Roissy interpelle dans la soirée un bagagiste de l’aéroport Charles De Gaulle, qui détenait dans sa voiture des armes et le matériel nécessaire pour fabriquer une bombe. Le suspect, un algérien de 27 ans, est placé en garde à vue par la section antiterroriste du parquet de Paris. Mardi 31 décembre. La piste terroriste se confirme. Des documents suspects découverts avec les armes et explosifs, laissent à penser que ceux-ci auraient pu servir aux fins d’un projet terroriste. On soupçonne même Abderazak Besseghir d’avoir accepté de réceptionner ce colis de l’étranger. Mercredi 1 janvier. Des traces d’explosifs retrouvés dans le vestiaire du bagagiste de Roissy contredisent la thèse du complot familial. Abderazak Besseghir a été mis en examen et écroué par le juge antiterroriste Gilbert Thiel «pour association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste», «infraction à la législation sur les armes, les munitions et les explosifs», et, «détention de faux administratifs». Pour le bagagiste de Roissy maintenant incarcéré les jours et surtout les titres des journaux se ressemblent. Le 2 janvier les enquêteurs vont s’attacher à retrouver d’éventuels complices. Le 3 janvier les policiers qui qualifient l’affaire de complexe ont acquis la certitude qu’il a agi dans le cadre d’une opération terroriste. Le 4 janvier, selon des informations, des données issues du portable du bagagiste mènent à la mouvance islamiste. Le 5 enfin, les policiers ont retrouvé la trace de deux «contacts», bagagistes sur la plate-forme de Roissy, grâce à son portable. Voilà les éléments donnés en pâture au grand public dans un pays où il y a des lois qui protégent le secret de l’instruction et la présomption d’innocence. Abderazak Besseghir serait toujours en prison et sans aucun doute pour longtemps si un membre de sa famille, et non pas le juge ou la police ou les journalistes, n’avait cherché et fourni la preuve matérielle qu’il s’agissait d’un complot contre lui. On avait un coupable sur mesure, algérien et musulman de surcroît, désigné dès le départ, la médiatisation s’est chargée du reste. Rappelez-vous les titres des journaux qui ont suivi les arrestations après Quévert. Sachez aussi que l’instruction a toujours été faite à charge, que le juge a toujours rejeté les éléments à décharge. Les coupables étaient tellement parfaits que presque tout le monde y a cru, comme dans l’histoire du bagagiste de Roissy. Dans ces affaires comme dans toutes celles touchant l’intégrité du territoire, pas un journaliste digne de ce nom n’a essayé de dire ou d’écrire le contraire. Les injustices, le non droit c’est toujours bien loin des frontières hexagonales. Y a -t-il des journalistes d’investigation en France ? Nos camarades ne sont-ils pas les bagagistes de Quévert ?

 

janvier 2003.
Michel Herjean