Affaire Quévert : où en est-on ?

 

        Novembre 1999, un débat sur le thème « Etat de droit ,raison d'Etat » était organisé à Lannion. L'écrivain Gilles Perrault avait accepté d'animer cette soirée. A peine arrivé, nous l'avions conduit à son hôtel. Sans même avoir commencé à parler du débat de la soirée, nous sommes rapidement arrivés à parler de l'actualité . C'était juste après les premières mises en examen à la suite au vol d'explosif de Plevin, donc, un moment avant l'attentat dramatique de Quévert, et cet homme que je ne connaissais pas bien - je ne l'avais vu que deux fois auparavant afin de préparer ce débat sur la raison d'Etat - m'avait dit quelque chose de surprenant sur l'instant. « Vous n'avez pas fini d'en baver s'ils ont vraiment décidé de s'attaquer au mouvement breton , ils sont capables de tout, même d'élimination physique ». Une autre chose m'avait marqué chez cet homme : à de nombreuses reprises au cours de la soirée il avait évoqué le procès Ranucci et le fameux pull-over rouge, comme si cette affaire, les certitudes qu'il avait toujours l'air d' avoir sur l'innocence de cet homme qui avait été guillotiné, continuaient de le hanter. Pour lui la justice avait besoin d'un coupable, vrai ou faux, elle en avait trouvé un.

        C'est la réflexion qu'a faite la présidente de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris le 21 décembre dernier à l'encontre d' Arno Vannier qui m'a remémoré certains propos de Gilles Perrault . « Lors de votre arrestation (qui date de deux ans maintenant) vous portiez bien un tee shirt où était inscrit Independenzia et sur lequel on pouvait voir un drapeau basque, vous n'avez aucun remords ? ». Des remords de quoi pourrait-il avoir ? La Justice française est arrivée bien bas si c'est avec de telles excuses et arguments qu'elle peut maintenir des personnes en détention, des gens qui sont toujours innocents selon la loi, qui se sont expliqués chez un ou deux juges d'instruction , qui n'ont plus rien à expliquer puisque les juges ne les convoquent plus depuis 8 mois , ne font pas de confrontation pour vérifier les dires de chacun. Je cite le cas d'Arno Vannier, il est arrivé à deux ans de détention courant décembre ;avant lui, deux autres prisonniers ont dépassé ce cap de la détention provisoire, limite que préconise la cour européenne des droits de l'homme quand aucune date de procès n'est encore fixée. Tous les deux sont malades . Alain Solé est diabétique, sa maladie mal soignée peut avoir des conséquences très graves et surtout irréversibles pour sa vue et le bon fonctionnement de ses reins. Gérard Bernard est malade aussi, il a un nodule à la glande thyroïde , les autorités pénitentiaires et sanitaires le savent depuis maintenant plus d'un an, et là, comme pour Alain Solé, il n'est pas soigné. Même si ce nodule n'était pas cancéreux, il aurait fallu le soigner dès qu'il a été identifié. Pour les visiteurs qui ont pu voir Gérard Bernard dernièrement, physiquement, il est marqué par une maladie des glandes thyroïdes, il a grossi de 20 kilos en deux ans . Pensez-vous que les juges en charge de la détention de ces trois prisonniers aient quelques remords ?

        Tous les trois « pâtissent » de l'effet pervers de Quévert alors qu'aucun d'entre eux n'est mis en examen pour cette affaire et que tous les trois étaient déjà incarcérés quand a eu lieu ce drame. Quévert : dans l'heure qui suit l'explosion du Mac Do, le procureur de la quatorzième section antiterroriste du parquet de Paris débarque dans son tailleur rouge - précision pour les images télés que l'on nous ressasse à tout moment en archives - et désigne immédiatement et sans aucune hésitation les responsables, la marque des explosifs, leur provenance, etc . Cela sans qu'aucune analyse de la police scientifique n' ait été faite. Il faut des coupables, on les désigne tout de suite ,l'ensemble des médias est sur place, il faut en profiter au maximum. Quelques semaines plus tard, on arrête ,on perquisitionne, on garde à vue, on saisit des ordinateurs, des portables, on fait des analyses d' ADN , par dizaines et par dizaines et puis on en emprisonne quelques uns à la suite d' une vraie non-revendication dans un vrai faux journal . Vingt mois plus tard, où en est on ? L'instruction suit son cours à pas de sénateur, les mis en examen sont convoqués de temps en temps chez le juge sans trop d'empressement, comme si on voulait faire durer. Et puis à la mi-décembre nouvelle série d'analyses d'ADN sur une quarantaine de militants bretons engagés ou moins engagés, jeunes ou plus anciens. L'analyse de l'ADN des Bretons incarcérés ne correspond-elle pas à l'ADN recherchée pour l'attentat du Mac do ? Alors, que font ces militants en prison ? Leur incarcération aurait-elle servi à autre chose qu'à la recherche de la vérité sur l'attentat de Quévert ?

        En Bretagne, on commence à cogiter, l'instruction traîne un peu trop, la piste ordonnée le jour de l'attentat n'est peut-être pas la bonne . Il faudra bien que les autorités judiciaires en charge de ce dossier prennent des décisions, il va falloir enfin dire aux Bretons ce qu'il en est exactement. Si des gens sont soupçonnés d'être coupables de quoi que ce soit, il faut les juger maintenant, sinon il faut les libérer immédiatement. Juger c'est avec toutes les garanties qu'une véritable justice exige ; pas par une justice d'exception qui condamne parce qu'il faut condamner. Ni parce ce que la politique actuelle de l'Etat français est devenue ultra sécuritaire et demande des exemples de châtiments pour assurer et affirmer son autorité contre quiconque remettrait en cause l'intégrité nationale et la sécurité intérieure de la France, une et indivisible, jacobinisme oblige .

        Aujourd'hui plus de vingt mois après l'attentat du Mac do, tout le monde a le droit de savoir la vérité, ce n'est pas dans dix ou vingt ans qu'il faudra nous faire des révélations de barbouzes, de policiers, de juges ou de magistrat à la retraite. C'est maintenant.

Le 3 janvier 2002.
Michel Herjean