Dans la prison de Nantes, y avait trop de prisonniers
Lu dans Libération.fr
(20/02/04)
Dans la prison de Nantes, y
avait trop de prisonniers
Les surveillants dénoncent la surpopulation et les conditions de détention.
Par Nicolas de LA CASINIERE
vendredi 20 février 2004
«C'est clair, c'est l'institution qui provoque les violences.» Un surveillant
Nantes correspondance
En reconstituant hier devant le palais de justice les 14 mètres carrés
oùs'entassent sept détenus, les surveillants de prison nantais ont ouvertpendant
deux heures une cellule sans prisonnier, tout en demandant lafermeture de la
maison d'arrêt surpeuplée. Théoriquement, elle disposede 291 places.
Pratiquement les détenus sont entre 410 et 425, sur deslits superposés, veillés
par 110 surveillants et 18 chefs. Actuellementplus de soixante détenus dorment
sur des matelas par terre.
«Ça devient aussi dangereux d'y être incarcéré que d'y travailler, dit Laurent
Lebreton, premier surveillant depuis deux ans. Lamoindre ouverture de porte peut
cristalliser des haines envers lessurveillants qui incarnent le pouvoir au sein
de la prison. Lors desmouvements, on a des détenus qui restent dans le couloir
et demandent àêtre envoyés au mitard pour être tranquille.» Faute de place,
septdétenus mélangent leurs vêtements dans quatre armoires. Une source
deconflits permanents. Certains mangent assis sur leur lit. «Tous les lundis, on
reçoit de cinq à dix personnes, venant purger des peines d'un mois ou deux
prononcées en 2000 ou en 2001»,dit Alexis Grandhaie, délégué CGT des
surveillants. Les condamnés pourconduite en état d'ivresse et ceux qui n'ont pas
payé leur pensionalimentaire côtoient le grand banditisme et les fous furieux.
«Onest sur le fil du rasoir 24 heures sur 24. Si un gars revient depromenade
avec un oeil au beurre noir, il y a bien des caméras desurveillance, mais elles
sont obsolètes, c'est flou on ne voit rien dutout. En cas d'intervention de
nuit, à cinq gardiens, on hésite, onréfléchit à deux fois. Faut dire qu'on nous
adresse tous les casdangereux et les barjots des autres prisons de Brest à Caen,
sousprétexte qu'on est un établissement sécuritaire, en fait parce qu'on adeux
miradors, mais, en pleine ville, ça veut rien dire», note Laurent Lebreton.
Débordés. Lapromiscuité forcée déclenche des rixes, masque le racket et
provoquedes agressions des surveillants. Ce qui a produit 495
procéduresdisciplinaires en 2003. Rien qu'en un mois et demi, cette année, on
aenregistré 76 comparutions devant le tribunal pénitentiaire, dont 90 %pour
sévices ou viols entre codétenus.
«Onest débordés. Il faut un mois de délai avant la sanction.
Entre-temps,beaucoup se montent le bourrichon, ce qui accentue les tensions
etrecrée des incidents. On sature aussi pour les parloirs aux familles.Les
détenus prennent ça pour des brimades personnelles. C'est clair,c'est
l'institution qui provoque les violences. Pour un simplechangement de cellule,
mieux vaut prévoir cinq à six gardiens», dit Jean-Paul Desessard, premier
surveillant lui aussi.
Mélanges.Avec un tel entassement de prisonniers, impossible de gérer
lesincompatibilités entre fumeurs et non-fumeurs, musulmans pratiquants etnon
pratiquants, avec les délinquants sexuels ou les incontrôlablesrelevant de la
psychiatrie... «On est obligé de mélanger lesprofils. Certains délinquants
primaires ont peur en intégrant unecellule et demandent à changer jusqu'à ce
qu'on n'ait plus commesolution que le mitard ou les cellules des arrivants où on
ne doit pasrester normalement plus de 48 heures. Tout peut dégénérer. On met
trèssouvent les tenues d'intervention, qui dormaient dans un placard il y adeux
ans. On porte aussi sur nous les menottes, les bombes à gaz qu'onn'emportait
pratiquement jamais avant», dit Laurent Lebreton.
Ensous-effectif, le personnel pénitentiaire ne dispose que d'un week-endde repos
sur six. L'absentéisme est important. Le personnel d'entretiense réduit à «deux
agents qui mettent du Scotch par-ci, un peu depeinture par-là, pour éviter que
ça tombe, réparent une serrure enpassant». Déclarée obsolète en 1984 mais quand
même rénovée, lamaison d'arrêt devait être fermée. Marylise Lebranchu, garde des
Sceauxd'alors, l'avait annoncé en novembre 2001. Depuis, elle a
simplementdépassé les limites de la saturation.