Le juge Garzon, un Dr Jekyll et M. Hyde espagnol
JAKILEA
Le témoin
Bulletin du Comité pour la Défense des Droits de l’Homme en Pays Basque Décembre
2003 - 2,5 € - Abonnement: 10 € Trimestriel n° 69
Le juge Garzon
Un Dr Jekyll et M. Hyde espagnol
par Gilles Perrault
Ne dites pas du mal du juge Garzon devant mes amis chiliens:
ils vous écharperaient. Ses poursuites contre Pinochet, qui lui doit la
mésaventure de Londres où sombra une partie de son sinistre prestige, ont fait
de Garzon la figure emblématique du courage judiciaire. Aucun autre magistrat au
monde ne jouit d’une célébrité et d’une admiration comparables. Seuls les
Basques connaissent, pour leur malheur, la double nature de ce Dr Jekyll et Mr
Hyde de la magistrature: vengeur des persécutés dans de lointaines contrées,
implacable persécuteur dans son propre pays.
On a connu en tous temps et en tous lieux des juges serviles plus empressés à
rendre des services que la justice. On sait aussi que les luttes ~j~ration
.nationale exacerbent les passions et conduisent à des erreurs judiciaires
dramatiques.
Ainsi la justice britannique a-t-elle
souillé sa blanche hermine avec, entre autres, les affaires des "Quatre de
Guilford" et des "Six de Birmingham", qui virent des tribunaux aveuglés par la
haine politique condamner des Irlandais parfaitement innocents qu’on libèra et
réhabilita après de longues années de prison.
Ce qui se passe actuellement en Espagne est d’une tout autre ampleur. Il ne
s’agit pas de dérapages ponctuels, mais d’une entreprise sans précédent
historique dans une démocratie: la "judiciarisation" de la politique. Autrement
dit, l’appareil judiciaire quitte son rôle d’arbitre, plonge dans la mêlée et
exécute les besognes qui relèvent partout ailleurs du pouvoir politique. Quand
on a un juge Garzon, nul besoin d’un ministre de l’Intérieur à Madrid: il fait
le travail à sa place et d’une manière beaucoup plus efficace, car si les
actions d’un ministre sont toujours susceptibles d’être contestées en justice,
la justice espagnole, sauf recours européen, n’a de comptes à rendre à personne.
Au prix d’une violation cynique du principe fondamental de la séparation des
pouvoirs, Garzon et ses émules peuvent criminaliser impunément tout ce qui
procède de l’identité basque: partis politiques, presse, maisons d’édition
associations culturelles ou humanitaires, mouvements de jeunesse, etc. Face à
cette agression inouïe, l’Europe se tait. Paris, toujours empressé à satisfaire
Madrid, ne bronche même pas quand un citoyen français est victime d’une chasse
aux Basques désormais sans entraves. Charles Etxezaharreta, professeur retraité
de l’Education nationale, ancien conseiller municipal d’Hasparren, où il réside
toujours avec sa famille, a été arrêté le 28 septembre dernier en Biscaye et
écroué sur ordre du juge Garzon. Son crime? L’appartenance à Udalbiltza, une
association d’élus basques. Elle est interdite en Espagne mais parfaitement
légale en France. Comment la France peut-elle accepter que l’un de ses citoyens
soit poursuivi et emprisonné dans de telles conditions? A l’heure où ces lignes
sont écrites, aucune protestation officielle n’a été élevée en faveur de Charles
Etxezaharreta.
Devenue sous l’égide du juge Garzon un instrument Politique, la justice
espagnole en paiera forcément le prix à plus ou moins long term~. Quant au
gouvernement de Madrid, il brûle ses vaisseaux et se lance dans un périlleux
quitte ou double. Londres avait montré plus de prudence. La lutte menée contre
l’IRA fut atroce, mais les gouvernements britanniques successifs se gardèrent
bien d~ criminaliser tout ce qui ressortissait à la volonté des Irlandais d’être
irlandais, et ils furent assez circonspects pour ne point toucher au Sinn Fein,
organisation politique dont les liens avec l’armée républicaine n’étaient un
secret pour personne. Ils eurent de la sorte un interlocuteur lorsque sonna
l’heure de l’inévitable négociation.
Les historiens diront dans quelle mesure l’offensive tous azimuts conduite par
le Mr Hyde de la justice espagnole aura contribué à remettre en mouvement le
vieux et bien un peu timoré PNV, et à engendrer ce plan Ibarretxe qui risque de
changer décisivement la donne.