Arrêts de la Cour Européenne des Droits de l'Homme concernant la Turquie
Nous présentons ici
les arrêts de la Cour Européenne des Droits de l'Homme concernant la Turquie,
arrêts rendus depuis le début de l'année 2004. Les textes ci-dessous sont les
communiqués du greffe de la Cour Européenne des Droits de l'Homme. Ils sont
nombreux, et bon nombre d'entre eux concernent des faits très graves.
Populations et militants kurdes et révolutionnaires turcs subissent de graves
violations de leurs droits. Les deux premiers arrêts concernent des faits plus «
ordinaires », du genre de ceux qui valent des condamnations régulières à
l'Italie et à la France. Cette dernière est bien connue pour son soutien
habituel dans les domaines politique, militaire et policier au gouvernement
d'Ankara.
Coordination Anti-Répressive de Bretagne.
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Arrêts de chambre concernant la Turquie
007
8.1.2004
Güçlü et autres c. Turquie (no 42670/98) Violation de l’article 1 du Protocole
no 1
İlkay c. Turquie (no 42786/98)
Güçlü et autres c. Turquie
Les requérants, Mustafa Güçlü, Firdevs Helvacı et Ayşe Yazıcı, sont des
ressortissants turcs résidant à Çorum. Ils étaient propriétaires d’un terrain
qui fut exproprié par la commune d’Osmancık en 1991. Contestant le montant de
l’indemnité d’expropriation qui leur a été versée, les requérants saisirent les
juridictions nationales. En juillet 1995, la Cour de cassation leur alloua une
indemnité complémentaire que l’administration acheva de leur verser en janvier
1998.
İlkay c. Turquie
La requérante, Nuran İlkay, est une ressortissante turque née en 1949 et
résidant à Ankara. Elle était propriétaire d’un terrain situé à Yenimahalle
(Ankara) qui fut exproprié et pour lequel elle perçut une indemnité
d’expropriation. En désaccord avec le montant fixé, la requérante saisit les
juridictions turques. En décembre 1994, la Cour de cassation lui alloua une
indemnité complémentaire qui lui fut versée par la Direction générale des routes
en janvier 1998, à savoir 37 mois après la décision judiciaire définitive.
Dans les deux affaires turques ci-dessus, les requérants dénonçaient l’atteinte
portée à leur droit au respect de leurs biens résultant du retard mis par
l’administration pour leur payer les indemnités complémentaires d’expropriation
leur ayant été judiciairement allouées. Ils invoquaient l’article 1 du Protocole
no 1 (protection de la propriété). Par ailleurs, invoquant l’article 13 (droit à
un recours effectif), Mme İlkay se plaignait également de n’avoir pas disposé
d’une voie de recours effective pour contraindre l’Etat à lui verser rapidement
cette indemnité.
La Cour rappelle qu’un retard anormalement long dans le paiement d’une indemnité
dans le domaine de l’expropriation aggrave la perte financière de l’exproprié et
le place dans une situation d’incertitude, surtout si l’on tient compte de la
dépréciation monétaire dans certains Etats. Les retards dans le paiement des
indemnités complémentaires d’expropriation sont imputables, dans ces deux
affaires, à l’administration et ont fait subir aux requérants un préjudice
distinct de l’expropriation de leurs biens. Du fait de ces retards, ils ont subi
une charge spéciale et exorbitante qui a rompu le juste équilibre devant régner
entre les exigences de l’intérêt général et la sauvegarde du droit au respect
des biens. Par conséquent, la Cour conclut à l’unanimité, dans ces deux
affaires, à la violation de l’article 1 du Protocole no 1. Elle estime par
ailleurs qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de
l’article 13 par Mme İlkay.
Au titre de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la Cour
alloue conjointement aux requérants dans l’affaire Güçlü et autres 2 500 EUR
pour dommage matériel, 3 000 EUR pour dommage moral et 600 EUR pour frais et
dépens. La Cour estime que le présent arrêt constitue une satisfaction équitable
suffisante pour le préjudice moral subi par Mme İlkay et lui alloue 1 900 EUR
pour dommage matériel ainsi que 500 EUR pour frais et dépens. (Ces arrêts
n’existent qu’en français.)
Violation de l’article 6 § 1
Dans les deux affaires turques suivantes, les requérants ont été traduits devant
une cour de sûreté de l’Etat et condamnés à des peines d’emprisonnement en
raison de leur appartenance ou de l’aide et assistance qu’ils ont portées à des
organisations armées illégales. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès
équitable), les intéressés soutenaient que leur cause n’avait pas été entendue
par un tribunal indépendant et impartial, en raison de la présence d’un
magistrat militaire dans la composition des cours de sûreté de l’Etat. Ils se
plaignaient en outre de l’iniquité de la procédure ayant conduit à leur
condamnation et soulevaient d’autres griefs tirés de l’article 6 de la
Convention.
Becerikli et Altekin c. Turquie (no 57562/00)
Les requérants, Sekvan Becerikli et Ahmet Altekin, sont des ressortissants turcs
nés respectivement en 1974 et 1966. Lors de l’introduction de leur requête, M.
Becerikli était détenu à la prison d’Ordu et M. Altekin à la prison d’Izmir.
Soupçonnés d’exercer des activités au sein du PKK (Parti des travailleurs du
Kurdistan), les requérants furent arrêtés en 1994 et firent l’objet de
poursuites pénales. M. Altekin fut condamné à trois ans et neuf mois
d’emprisonnement et M. Becerikli à la réclusion à perpétuité.
Toprak c. Turquie (no 57561/00)
Le requérant, Gürü Toprak, est un ressortissant turc né en 1960 et résidant à
Siirt. Il fut condamné à trois ans et neuf mois d’emprisonnement pour avoir
porté aide et assistance à une organisation armée illégale.
La Cour rappelle que le fait pour des civils de devoir répondre d’infractions
réprimées par le code pénal devant une cour de sûreté de l’Etat composée
notamment d’un magistrat militaire constitue pour eux un motif légitime de
redouter un manque d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction. Dès
lors, elle conclut à l’unanimité, dans ces deux affaires, à la violation de
l’article 6 § 1 de la Convention.
Par ailleurs, la Cour rappelle qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et
d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès
équitable aux personnes soumises à sa juridiction. Par conséquent, la Cour
estime, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs tirés
de l’équité de la procédure.
Quant à l’application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention,
la Cour juge à l’unanimité, dans ces deux affaires, que l’arrêt constitue en soi
une satisfaction équitable suffisante pour le préjudice moral allégué par les
intéressés. Elle rappelle que lorsqu’elle conclut que la condamnation d’un
requérant a été prononcée par un tribunal qui n’était pas indépendant et
impartial au sens de l’article 6 § 1, en principe le redressement le plus
approprié serait de le faire rejuger en temps utile par un tribunal indépendant
et impartial. Dans l’affaire Becerikli et Altekin c. Turquie, la Cour alloue
conjointement aux requérants 2 000 EUR pour frais et dépens, moins 630 EUR
perçus au titre de l’assistance judiciaire. Elle alloue à M. Toprak 2 000 EUR
pour frais et dépens. (Ces arrêts n’existent qu’en français).
006
8.1.2004
La Cour conclut à l’unanimité :
• dans l’affaire Sadık Önder c. Turquie, à la violation de l’article 3
(interdiction de la torture et des traitements inhumains ou dégradants) de la
Convention européenne des Droits de l’Homme en raison de l’absence d’enquête
officielle effective sur les allégations de mauvais traitements émanant du
requérant ;
• dans l’affaire Çolak et Filizer c. Turquie, à la violation de l’article 3 de
la Convention.
En application de l’article 41 de la Convention (satisfaction équitable), la
Cour alloue 5 000 euros (EUR) pour dommage moral et 2 500 EUR pour frais et
dépens à Sadık Önder, ainsi que 12 000 EUR chacun pour dommage moral à Abdullah
Çolak et Ömer Filizer et 2 500 EUR au total à ceux-ci pour frais et dépens.
1. Principaux faits
Sadık Önder
Le requérant, Sadık Önder, est un ressortissant turc né en 1969 et résidant à
Istanbul. En juillet 1994, il fut arrêté et placé en garde à vue car il était
soupçonné d’appartenir au PKK.
Il allègue avoir été maltraité et torturé dans la voiture de police qui le
conduisait à la direction de la sûreté d’Istanbul puis pendant sa détention dans
ces locaux. Il affirme que, pendant son interrogatoire, on lui a bandé les yeux,
qu’il a été déshabillé et pendu par les bras, ce qui constitue une forme de
torture dénommée « pendaison palestinienne », et qu’il a été électrocuté, menacé
et insulté. Il soutient de plus qu’on l’a obligé à signer un document où il
déclarait avoir travaillé pour le PKK et participé aux activités terroristes de
cette organisation. Il serait ensuite encore resté en garde à vue une semaine,
pendant laquelle on aurait appliqué de la crème cicatrisante sur ses blessures
pour hâter la guérison et faire disparaître les traces de mauvais traitements.
Le 22 juillet 1994, M. Önder fut examiné par un médecin qui ne décela aucun
signe de mauvais traitement. Toutefois, ce praticien fit ultérieurement l’objet
d’une interdiction d’exercer la médecine pendant six mois car il avait caché
l’existence de signes de torture lors d’examens médicaux qu’il avait effectués
entre le 3 février et le 7 octobre 1994.
Pendant sa détention, M. Önder subit un examen médical à sa demande. Le rapport,
daté du 22 août 1994, ne faisait état d’aucune trace de lésions traumatiques.
M. Önder déposa une plainte contre les policiers chargés de la garde à vue. Ces
derniers furent ensuite acquittés faute de preuves.
Çolak et Filizer
Les requérants, Abdullah Çolak et Ömer Filizer, sont des ressortissants turcs
nés en 1969 et 1964 respectivement et résidant à Şanlı Urfa. Ils furent arrêtés
car ils étaient soupçonnés d’appartenir au PKK et placés en garde à vue les 28
et 29 avril 1995. Ils allèguent avoir été frappés et insultés par les policiers
lors de leur transfert à la direction de la sûreté d’Istanbul.
M. Çolak soutient que, pendant les six jours de sa détention dans les locaux de
la section anti-terrorisme de la direction de la sûreté d’Istanbul, il fut
étranglé, battu, frappé à coups de pied, pendu par les bras et menacé par les
policiers de finir comme d’autres qui avaient disparu lors d’une garde à vue.
M. Filizer affirme que, pendant sa détention, qui a duré sept jours, il eut les
yeux bandés, fut frappés violemment à la tête, à l’estomac, au ventre et dans
les reins et pendu par les bras. On lui comprima les testicules et lui fit subir
des électrochocs par l’intermédiaire d’électrodes appliquées à ses organes
sexuels et à ses orteils.
Les requérants affirment que, le 2 mai 1995, ils furent contraints de signer des
dépositions concernant leurs activités au sein du PKK et leurs liens avec
d’autres membres du PKK.
Le 5 mai 1995, ils furent examinés par des médecins qui ne constatèrent aucun
signe de coups ou de violence sur leur corps. Ils affirment être restés en garde
à vue, sous la surveillance des mêmes policiers, pendant une autre journée après
avoir subi leur premier examen médical.
Le 22 mai 1995, M. Çolak subit un deuxième examen médical, où il fut constaté
que son corps présentait des contusions en voie de guérison et des ecchymoses au
pied gauche. Un autre rapport, daté du 20 juin 1996, conclut que ses blessures
l’empêcheraient de travailler pendant deux jours.
Le 18 mai 1995, M. Filizer fut lui aussi soumis à un second examen médical, où
il fut constaté qu’il avait des écorchures au pénis, des douleurs à la poitrine
et des ecchymoses sous l’œil gauche. Le rapport mentionnait aussi que M. Filizer
souffrait quand il mâchait et avait les deux épaules douloureuses.
Les requérants déposèrent une plainte contre les policiers chargés de la garde à
vue, qui furent par la suite acquittés faute de preuves.
2. Procédure et composition de la Cour
La requête Sadık Önder c. Turquie a été introduite devant la Commission
européenne des Droits de l’Homme le 28 août 1995 et les requêtes Çolak et
Filizer c. Turquie le 28 décembre 1995. Les deux affaires ont été transmises à
la Cour le 1er novembre 1998 et déclarées recevables le 29 juin 1999 et le 25
mai 2000 respectivement.
L’arrêt dans l’affaire Sadık Önder a été rendu par une chambre de sept juges
composée de :
Georg Ress (Allemand), président,
Ireneu Cabral Barreto (Portugais),
Lucius Caflisch (Suisse),
Pranas Kūris (Lituanien),
Boštjan Zupančič (Slovène),
Margarita Tsatsa-Nikolovska (Macédonienne), juges,
Feyyaz Gölcüklü (Turc), juge ad hoc,
ainsi que de Vincent Berger, greffier de section.
L’arrêt dans l’affaire Çolak et Filizer a été rendu par une chambre de sept
juges composée de :
Georg Ress (Allemand), président,
Pranas Kūris (Lituanien),
Boštjan Zupančič (Slovène),
John Hedigan (Irlandais),
Margarita Tsatsa-Nikolovska (Macédonienne),
Hanne Sophie Greve (Norvégienne), juges,
Feyyaz Gölcüklü (Turc), juge ad hoc,
ainsi que de Vincent Berger, greffier de section.
3. Résumé de l’arrêt [2]
Grief
Les requérants alléguaient que, pendant leur garde à vue, ils avaient été soumis
par des policiers à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention
européenne des Droits de l’Homme.
Décision de la Cour
Article 3 de la Convention
Sadık Önder
La Cour relève qu’un certain nombre de faits portent à douter que M. Önder ait
subi des traitements interdits par l’article 3.
Elle constate que rien ne montre que le requérait se soit plaint de mauvais
traitements auprès de la cour de sûreté de l’Etat ou du procureur avant le 13
septembre 1994. De plus, il a été examiné par un médecin à sa demande. Or le
rapport de ce médecin (daté du 22 août 1994) ne fait état d’aucun signe de
mauvais traitement.
S’agissant du premier rapport médical, la Cour considère, sachant quel a ensuite
été le sort du médecin qui l’a rédigé, que ce document ne saurait être tenu pour
une preuve crédible quant à la santé du requérant à cette époque. Or ce dernier
n’a pas contesté la fiabilité du rapport devant les autorités ni demandé à être
examiné par un autre médecin.
Dès lors, la Cour considère qu’elle ne dispose pas de preuves suffisantes pour
conclure qu’il y a eu violation de l’article 3 à raison des tortures alléguées.
Pour ce qui est du caractère adéquat de l’enquête menée sur ces allégations, la
Cour relève que le procureur a ouvert une enquête dès que le requérant s’est
plaint d’avoir subi des mauvais traitements pendant sa garde à vue. Toutefois,
il ressort du dossier que le procureur ne s’est appuyé que sur le rapport
médical du 22 août 1994 pour conclure que le requérant n’avait pas subi de
mauvais traitements en garde à vue. Etant donné que celui-ci est resté en
détention pendant 15 jours et que le rapport médical datait d’un mois après
qu’il eut été placé en garde à vue, on ne saurait considérer que le procureur a
mené une enquête effective sur les allégations du requérant, en veillant à ce
que dernier participe à la procédure. Le dossier ne permet pas de déterminer si
le procureur a enregistré la déposition du requérant, des policiers ou d’autres
témoins éventuels.
Partant, la Cour conclut à la violation de l’article 3 au motif qu’aucune
enquête effective n’a été effectuée sur l’allégation du requérant selon laquelle
il avait été maltraité par des policiers pendant sa garde à vue.
Çolak et Filizer
La Cour constate que les requérants n’ont pas été examinés par un médecin au
début de leur détention et n’ont pu consulter un avocat ou un médecin de leur
choix pendant leur garde à vue. Après celle-ci, ils ont subi trois examens
médicaux qui ont débouché sur des rapports contradictoires. Eu égard aux
affirmations des requérants selon lesquelles ils ont passé encore un jour en
garde à vue, sous la surveillance des policiers, après leur premier examen
médical, et en l’absence d’explication convaincante de la part du Gouvernement
turc quant aux contradictions relevées, la Cour n’accorde pas d’importance
particulière au premier rapport, qui ne faisait état d’aucun signe de violence
sur les requérants. La Cour note qu’aucune explication plausible n’a été fournie
quant à la présence de contusions, ecchymoses et écorchures sur le corps des
requérants. De plus, le Gouvernement n’a pas suggéré que les signes de violence
relevés sur le corps des requérants auraient pu être antérieurs à leur
arrestation.
La Cour répète qu’un Etat a le devoir de protéger les détenus, qui sont
vulnérables. Gardant à l’esprit l’obligation où se trouvent les autorités de
l’Etat d’expliquer l’origine de blessures occasionnées par des personnes qui se
trouvent sous leur contrôle pendant une garde à vue, la Cour considère que
l’acquittement des policiers soupçonnés d’être les auteurs des mauvais
traitements ne saurait dispenser la Turquie de s’acquitter de ses
responsabilités au regard de la Convention.
Dès lors, la Cour conclut que le Gouvernement turc est responsable des
traitements qui sont à l’origine des blessures constatées dans les deuxièmes
rapports médicaux, au mépris de l’article 3.
005
8.1.2004
Communiqué du Greffier
ARRÊT DE CHAMBRE DANS L’AFFAIRE AYDER ET AUTRES c. TURQUIE
La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son
arrêt dans l’affaire Ayder et autres c. Turquie (requête no 23656/94). La Cour
conclut à l’unanimité :
• à la violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains ou
dégradants) de la Convention européenne des Droits de l’Homme à raison de la
destruction des maisons et biens des requérants ;
• à la violation de l’article 8 (droit au respect de la vie privée et familiale
et du domicile) de la Convention ;
• à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété) ;
et
• à la violation de l’article 13 (droit à un recours effectif).
La Cour dit aussi, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres
griefs tirés par les requérants de l’article 3 et de l’article 18 (limitation de
l’usage des restrictions aux droits) ni de rechercher si les carences constatées
s’inscrivent dans le cadre d’une pratique de la part des autorités turques.
En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la
Cour alloue aux requérants les sommes suivantes pour dommage matériel : 26
144,90 euros (EUR) à Ahmet Ayder, 20 239,70 EUR à Yusuf Lalealp, 20 239,70 EUR à
Nadir Doman, 26 239,70 EUR à Şevket Biçer et 20 144,90 EUR à Zeydin Ekmekçi. La
Cour octroie aussi 14 500 EUR à chacun des requérants pour dommage moral et 40
000 EUR au total pour frais et dépens, moins les 725 EUR versés au titre de
l’assistance judiciaire. (L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
1. Principaux faits
Les requérants, Ahmet Ayder, Yusuf Lalealp, Nadir Doman, Şevket Biçer et Zeydin
Ekmekçi, sont des ressortissants turcs d’origine kurde nés respectivement en
1940, 1934, 1964, 1966 et 1963. A l’époque des faits, ils vivaient avec leur
famille dans la ville de Lice, dans la région de Diyarbakır (Sud-Est de la
Turquie).
L’affaire concerne la destruction de maisons et l’atteinte aux biens perpétrées
à grande échelle à Lice entre le 22 et le 23 octobre 1993. A cette occasion, les
maisons et biens meubles des requérants furent incendiés. Les requérants
affirment que leurs biens furent endommagés ou détruits délibérément dans le
cadre d’une opération prévue à l’avance et menée par les forces de sécurité pour
punir les habitants de la ville de leur sympathie supposée pour le PKK. Ils
soutiennent qu’ils furent terrorisés et tombèrent dans le dénuement, puisqu’ils
ne conservèrent que les vêtements qu’ils portaient sur eux et certains même pas
de chaussures. Ils furent tous contraints de quitter Lice et deux d’entre eux
perdirent leurs moyens d’existence.
Le Gouvernement affirme que les forces de sécurité défendaient alors la ville
contre des attaques du PKK.
A la suite d’une mission d’enquête sur place, la Commission européenne des
Droits de l’Homme considéra comme établi que les biens meubles et immeubles des
requérants avaient été délibérément incendiés par les forces de sécurité les 22
et 23 octobre 1993, à la suite de quoi les requérants avaient quitté Lice avec
leur famille.
La Commission n’a pas exclu la possibilité que des terroristes aient été
présents dans la ville le 22 octobre ni qu’il y ait eu des accrochages entre le
PKK et les forces de sécurité. Néanmoins, un nombre « troublant » de questions
pertinentes est resté sans réponse.
2. Procédure et composition de la Cour
La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de
l’Homme le 20 avril 1994. Après avoir déclaré la requête recevable, la
Commission a adopté, le 21 octobre 1999, un rapport formulant l’avis unanime
qu’il y avait eu violation des articles 3, 8 et 13 de la Convention et de
l’article 1 du Protocole no 1. Elle a transmis l’affaire à la Cour le 30 octobre
1999.
L’arrêt a été rendu par une chambre de sept juges composée de :
Peer Lorenzen (Danois), président,
Giovanni Bonello (Maltais),
Nina Vajić (Croate),
Vladimiro Zagrebelsky (Italien),
Elisabeth Steiner (Autrichienne),
Khanlar Hajiyev (Azerbaïdjanais), juges,
Feyyaz Gölcüklü (Turc), juge ad hoc,
ainsi que de Erik Fribergh, greffier adjoint.
3. Résumé de l’arrêt [1]
Griefs
Invoquant les articles 3 et 8 de la Convention et l’article 1 du Protocole no 1
à la Convention, les requérants se plaignaient de la destruction délibérée de
leurs biens par les forces de sécurité turques. Ils alléguaient aussi que, au
mépris de l’article 13, ils n’avaient pas disposé d’un recours effectif pour
contester la destruction de leurs biens ou solliciter une réparation.
Ils alléguaient en outre qu’il existait une pratique de destruction volontaire
des maisons et biens et d’évacuation forcée dans le Sud-Est de la Turquie en
1993, et que les autorités démentaient systématiquement les allégations de
graves violations des droits de l’homme.
Sur le terrain de l’article 18, ils soutenaient que l’évacuation forcée de deux
à trois millions de personnes du Sud-Est de la Turquie, prétendument pour des
motifs de sécurité, révèle un exercice arbitraire du pouvoir qui ne rentre pas
dans le cadre des garanties juridiques internes et tourne délibérément l’état de
droit et les droits consacrés par la Convention.
Décision de la Cour
Article 3 de la Convention
La Cour relève que la destruction des biens des requérants les a tous privés
d’un toit, ainsi que leur famille, et a fait perdre leurs moyens d’existence à
deux des requérants. De plus, cela les a obligés à quitter leur ville et à
refaire leur vie ailleurs. Certains des requérants et membres de leur famille
avaient de plus assisté à l’incendie de leurs maisons et de leurs biens.
La Cour estime que la destruction des biens des requérants, ainsi que l’angoisse
et la détresse éprouvés par leur famille, a dû leur causer des souffrances d’une
intensité telle que les actions des forces de sécurité doivent être qualifiées
de traitements inhumains au sens de l’article 3. Même à supposer que les forces
de sécurité aient eu l’intention de punir les requérants et leurs proches pour
leur participation ou soutien supposés au PKK, pareils mauvais traitements ne
sauraient se justifier. Dès lors, il y a eu violation de l’article 3.
Notant que la Commission n’a formulé aucune conclusion quant aux motifs qui
seraient à l’origine de la destruction des biens des requérants, la Cour
considère qu’il n’y a pas lieu d’examiner l’allégation supplémentaire tirée par
les requérants de l’article 3, selon laquelle l’incendie de leurs maisons a
constitué un châtiment collectif pour les attaques menées par le PKK ou pour les
punir de leur soutien supposé à cette organisation.
Article 8 de la Convention et article 1 du Protocole no 1 à la Convention
La Cour observe que le fait que les forces de sécurité aient détruit les maisons
et les biens des requérants, ce qui les a contraints à quitter Lice avec leur
famille, a constitué une ingérence particulièrement grave et injustifiée dans
leur droit au respect de leur vie privée et familiale et de leur domicile ainsi
qu’à leur droit au respect de leurs biens. Il y a donc eu violation de l’article
8 et de l’article 1 du Protocole no 1.
Article 13 de la Convention
La Cour juge qu’il n’a pas été établi avec suffisamment de certitude que les
recours offerts aux requérants – concernant leur grief selon lequel leurs biens
avaient été détruits volontairement par les autorités de l’Etat – étaient de
nature à leur fournir une réelle possibilité d’obtenir un redressement. De plus,
alors qu’un certain nombre de témoins cités par le Gouvernement avaient déclaré
à la Commission que, peu après l’incident, ils avaient eu vent d’allégations
selon lesquelles des maisons avaient été délibérément incendiées par les forces
de sécurité, aucune enquête officielle n’a été ouverte avant que le Gouvernement
turc ait été informé que les requérants avaient soumis une requête à la Cour
européenne des Droits de l’Homme. Le procureur de Lice rendit une déclaration
d’incompétence au motif que l’enquête portait sur des fautes supposées de la
part de fonctionnaires et le dossier fut transmis au conseil administratif de
district. La Cour rappelle que cet organe, composé de fonctionnaires
hiérarchiquement subordonnés au gouverneur – personnage qui a des liens avec les
forces de sécurité faisant l’objet de l’enquête – ne saurait passer pour
indépendant. De plus, la personne désignée pour enquêter sur les allégations des
requérants pour le compte du conseil administratif rédigea son rapport après
avoir recueilli la déposition d’un seul des requérants, à savoir Zeydin Ekmekçi,
et, alors que ce dernier avait maintenu ses allégations, sans interroger les
membres des forces de sécurité. La Cour considère dès lors qu’aucune enquête
approfondie ou effective n’a été menée sur les allégations des requérants.
Partant, elle conclut qu’il y a eu violation de l’article 13.
Article 18 de la Convention
La Cour juge qu’il n’y a pas lieu d’examiner le grief des requérants tiré de
l’article 18.
008
8.1.2004
Communiqué du Greffier
REPORT DE L’AUDIENCE DANS L’AFFAIRE DOĞAN ET AUTRES c. TURQUIE
La Cour européenne des Droits de l’Homme a décidé de reporter au jeudi 12
février 2004 à 9 h 30 l’audience sur la recevabilité et le fond dans l’affaire
Doğan et autres c. Turquie (requêtes nos 8803/02 à 8811/02, 8813/02 et 8815/02 à
8819/02), initialement prévue le jeudi 15 janvier 2004 à 9 h 30.
Résumé des faits
Avant octobre 1994, les 15 requérants vivaient à Boydaş, un village situé dans
la sous-préfecture de Hozat (département de Tunceli), dans le sud-est de la
Turquie, où eux-mêmes ou leurs pères étaient propriétaires de terrains (et, dans
certains cas, de maisons).
Les intéressés affirment qu’en octobre 1994, les forces de sécurité de l’Etat
les auraient expulsés par la force de leur village en raison des troubles qui
secouaient alors la région, et auraient également détruit leurs biens. Les
requérants partirent avec leurs familles s’installer à Istanbul – ou, en ce qui
concerne l’affaire Doğan (no 8803/02), dans le village de Muratçık (département
d’Elazığ) –, où ils résident actuellement.
Entre 1999 et 2001, les intéressés firent des démarches auprès des autorités
administratives turques en vue d’être autorisés à retourner dans leur village et
à retrouver l’usage de leurs biens. En réponse aux demandes de cinq des
requérants, présentées en 1999 et 2000, les autorités compétentes les
informèrent que leurs requêtes seraient examinées dans le cadre du « projet de
retour au village et de réintégration », qui devait permettre la réinstallation
des villageois expulsés dans le cadre des affrontements entre les forces de
l’ordre et le PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
En 2001, les requérants réitérèrent leur demande initiale auprès du Premier
ministre, du préfet de la région soumise à l’état d’urgence et du préfet de
Tunceli. En réponse à leurs requêtes de 2001, trois des intéressés reçurent de
la part des autorités des lettres les informant que tout retour éventuel à Boydaş
était interdit pour des raisons de sécurité. Les autres requérants n’eurent
aucune réponse. Selon l’article 10 § 2 de la loi sur les procédures
administratives, une demande était réputée être rejetée à défaut de réponse de
l’autorité administrative dans un délai de 60 jours.
Les intéressés allèguent que les autorités turques refusent de les laisser
repartir dans leur village, en violation des dispositions suivantes : articles 1
(obligation de respecter les droits de l’homme), 6 (droit à un procès
équitable), 7 (pas de peine sans loi), 8 (droit au respect de la vie privée et
familiale), 13 (droit à un recours effectif), 14 (interdiction de la
discrimination) et 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits) de la
Convention, et article 1 du Protocole no 1 (protection de la propriété) à la
Convention.
A l’heure actuelle, environ 1 500 requêtes similaires (par lesquelles des
requérants du sud-est de la Turquie se plaignent de l’impossibilité de regagner
leur village) ont été enregistrées par la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Ce chiffre représente 25% du nombre total de requêtes introduites contre la
Turquie.
020
15.1.2004
Violation de l’article 6 § 1
Dans les cinq affaires turques suivantes, les requérants ont été traduits devant
une cour de sûreté de l’Etat et condamnés à des peines d’emprisonnement en
raison de leur appartenance ou de l’aide et assistance qu’ils ont portées à des
organisations armées illégales. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès
équitable), les intéressés soutenaient que leur cause n’avait pas été entendue
par un tribunal indépendant et impartial, en raison de la présence d’un
magistrat militaire dans la composition des cours de sûreté de l’Etat. Ils se
plaignaient en outre de l’iniquité de la procédure ayant conduit à leur
condamnation et soulevaient d’autres griefs tirés de l’article 6 de la
Convention.
Çınar c. Turquie (no 48155/99)
Le requérant, Aydın Çınar, est un ressortissant turc né en 1976. En 1998, il fut
reconnu coupable de complicité de délit contre les pouvoirs publics et
d’assistance à l’organisation armée illégale TIKKO (Armée de libération des
ouvriers et paysans de Turquie) ; il fut condamné à ce titre à sept ans et six
mois d’emprisonnement.
Erolan et autres c. Turquie (no 56021/00)
Les requérants, Mehmet Hanefi Erolan, Ziya Yüce, Fevzi Üzüm et Idris Koluman,
sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1956, 1966, 1945 et 1965. En
raison de leur appartenance à une organisation armée illégale, MM. Erolan et
Yüce furent condamnés à 12 ans et six mois d’emprisonnement et MM. Üzüm et
Koluman à trois ans et neuf mois d’emprisonnement.
Hıdır Özdemir c. Turquie (no 46952/99)
Le requérant, Hıdır Özdemir, est un ressortissant turc né en 1959 et résidant à
Izmir. Il fut condamné à trois ans et neuf mois d’emprisonnement pour assistance
au PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan).
Içöz c. Turquie (no 54919/00)
Le requérant, Mustafa Içöz, est un ressortissant turc né en 1951. Lors de
l’introduction de la de sa requête, il était détenu à la prison d’Iskenderun. Il
fut condamné pour assistance à l’organisation armée illégale MLKP (Parti
communiste marxiste-léniniste) à trois ans et neuf mois d’emprisonnement.
Metin Polat et autres c. Turquie (no 48065/99)
Les requérants, Metin Polat, Nuri Uğur, Mustafa Şala, Hüseyin Ferhat et Cihan
Hasbay, sont des ressortissants turcs nés respectivement en 1969, 1974, 1973,
1971 et 1975. Ils furent condamnés pour appartenance à l’organisation illégale
TKP/ML (Parti communiste de Turquie / marxiste-léniniste) à trois ans et neuf
mois d’emprisonnement, à l’exception de M. Şala, à l’encontre duquel une peine
de 12 ans d’emprisonnement fut prononcée.
La Cour rappelle que le fait pour des civils de devoir répondre d’infractions
réprimées par le code pénal devant une cour de sûreté de l’Etat composée
notamment d’un magistrat militaire constitue pour eux un motif légitime de
redouter un manque d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction. Dès
lors, elle conclut à l’unanimité, dans ces cinq affaires, à la violation de
l’article 6 § 1 de la Convention.
Par ailleurs, la Cour rappelle qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et
d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès
équitable aux personnes soumises à sa juridiction. Par conséquent, la Cour
estime, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs tirés
de l’équité de la procédure.
Sur l’application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la
Cour estime, à l’unanimité dans ces cinq affaires, que les présents arrêts
constituent en soi des satisfactions équitables suffisantes pour le préjudice
moral allégué par les requérants. Elle rappelle que lorsqu’elle conclut que la
condamnation d’un requérant a été prononcée par un tribunal qui n’était pas
indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1, en principe le redressement
le plus approprié serait de le faire rejuger en temps utile par un tribunal
indépendant et impartial. Dans chacune de ces affaires, la Cour alloue aux
requérants 2 000 EUR pour frais et dépens, déduction faite dans l’affaire Metin
Polat et autres c. Turquie de 660 EUR que les requérants ont déjà perçus au
titre de l’assistance judiciaire.
019
15.1.2004
Communiqué du Greffier
ARRÊT DE CHAMBRE DANS L’AFFAIRE TEKDAĞ c. TURQUIE
La Cour européenne des Droits de l’Homme a communiqué aujourd’hui par écrit son
arrêt [1] dans l’affaire Tekdağ c. Turquie (requête no 27699/95).
La Cour conclut, à l’unanimité :
● à la non-violation de l’article 2 (droit à la vie) de la Convention européenne
des Droits de l’Homme quant aux allégations de la requérante relatives à
l’enlèvement et l’assassinat de son époux ;
● à la violation de l’article 2 de la Convention en raison de l’absence
d’enquête effective et adéquate sur les circonstances entourant la mort du mari
de la requérante ;
● à la non-violation de l’article 3 (interdiction des traitements inhumains et
dégradants) ;
● à la non-violation de l’article 5 (droit à la liberté et à la sûreté) ;
● à la non-violation de l’article 14 (interdiction de la discrimination) combiné
avec les articles 2, 3, 5, 10 (liberté d’expression), 13 et 18 ;
● à la non-violation de l’article 18 (limitation de l’usage des restrictions aux
droits) ;
● que le Gouvernement turc a manqué aux obligations découlant de l’article 38
(obligation de fournir toutes les facilités nécessaires à l’examen de l’affaire)
;
● qu’il n’est pas nécessaire d’examiner séparément le grief tiré de l’article 34
(droit de requête individuelle) ;
et par six voix contre une :
● à la violation de l’article 13 (droit à un recours effectif).
En application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la
Cour alloue à la requérante, par six voix contre une, 14 000 euros (EUR) pour
dommage moral, ainsi que 14 000 EUR pour frais et dépens, moins 1 513 EUR perçus
du Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire.
(L’arrêt n’existe qu’en anglais.)
1. Principaux faits
La requérante, Hatice Tekdağ, est une ressortissante turque d’origine kurde qui
réside à Diyarbakır. Son mari, Ali Tekdağ, à disparu à Dağkapı le 13 novembre
1994.
Les faits prêtent à controverse entre les parties.
La requérante affirme s’être rendue en compagnie de son époux au village de
Küçükkadı, le 13 novembre 1994, afin de faire des courses. A leur descente du
bus à Dağkapı, M. Tekdağ lui dit qu’il avait quelque chose à faire et lui
demanda de l’attendre quelques instants. Il revint peu de temps après en faisant
mine de ne pas la reconnaître, lui dit de ne pas s’approcher de lui et
s’engouffra dans une rue adjacente ; il était suivi par des hommes armés, munis
de talkie-walkies. Une fusillade éclata, à l’issue de laquelle des policiers en
civil arrivèrent sur les lieux et emmenèrent son époux dans un minibus blanc.
Mme Tekdağ soutient n’avoir pas eu de nouvelles de son mari depuis ce jour. Elle
s’adressa au procureur de Diyarbakır ainsi qu’au préfet afin d’avoir des
nouvelles de son époux, et leur rapporta les témoignages de personnes selon
lesquelles son mari aurait été vu au siège des « forces d’intervention rapide »
de Diyarbakır et en prison.
Par le passé, M. Tekdağ avait été arrêté par les forces de sécurité à 19
reprises, à l’issue desquelles il avait été mis en détention 17 fois. Il avait
changé son identité et pris le nom de Mehmet Aslan pour éviter d’être reconnu,
arguant du fait que la police le mettait en détention chaque fois qu’elle voyait
le nom de « Tekdağ ».
Selon la requérant, plusieurs mois après la disparition de son mari, la police
effectua une descente dans sa maison.
Le Gouvernement Turc conteste cette version des faits. Il affirme qu’il ressort
d’un courrier adressé par le procureur de Diyarbakır au Ministère de la justice
que l’intéressé n’a jamais été placé en détention. Il pourrait résulter du
changement illégal d’identité de M. Tekdağ que celui-ci a rejoint l’organisation
terroriste PKK (Parti des travailleurs du Kurdistan). Le gouvernement souligne
que la fille de Mme Tekdağ a été arrêté en novembre 1995 pour avoir porté aide
et assistance à cette organisation, et le frère de la requérante a été assassiné
par le groupe terroriste Hizbullah.
Quant aux investigations menées au sujet de cette disparition, les autorités
turques spécifient que le dossier comporte une centaine de documents incluant
des instructions des autorités judiciaires et des forces de sécurité, ainsi que
des informations fournies au ministère public et des décisions judiciaires
rendues en l’espèce.
2. Procédure et composition de la Cour
La requête a été introduite devant la Commission européenne des Droits de
l’Homme le 26 juin 1995. Elle a été déclarée recevable le 25 novembre 1996 et
transmise à la Cour le 1er novembre 1998. Du 9 au 14 octobre 2000, une mission
d’enquête a été menée à Ankara par une délégation de la Cour.
L’arrêt a été rendu par une chambre de 7 juges composée de :
Christos Rozakis (Grec), président,
András Baka (Hongrois),
Peer Lorenzen (Danois),
Marc Fischbach (Luxembourgeois),
Margarita Tsatsa-Nikolovska (Macédonienne),
Egil Levits (Letton), juges,
Feyyaz Gölcüklü (Turc), juge ad hoc,
ainsi que de Søren Nielsen, greffier adjoint de section.
3. Résumé de l’arrêt [2]
Griefs
Invoquant l’article 2 de la Convention, la requérante soutenait que son mari a
été enlevé et tué par des agents de l’Etat et que les autorités n’ont pas mené
d’enquête effective et adéquate au sujet de ces faits. Elle se plaignait
également que le fait de devoir vivre sans savoir ce qui est arrivé à son mari
constitue un traitement contraire à l’article 3. Sur le fondement de l’article
5, elle se plaignait de n’avoir pas été informée des raisons du placement en
détention de son époux, qui, après son arrestation, n’a pas été aussitôt traduit
devant un juge et elle n’a pu introduire de recours en vue de faire contrôler la
légalité de sa détention. Elle dénonçait en outre la violation de l’article 13.
Par ailleurs, Mme Tekdağ soutenait que son mari a été tué parce qu’il était
d’origine kurde, au mépris de l’article 14 combiné avec les articles 2, 3, 5,
10, 13 et 18. En outre, invoquant l’article 18, elle dénonçait les restrictions
à ses droits et libertés garantis par la Convention. Enfin, elle se plaignait de
la violation de l’article 34 de la Convention.
Décision de la Cour
Appréciation des preuves et établissement des faits
Lors du dépôt de ses observations en février 1996, le Gouvernement turc n’a pas
fourni à la Cour l’intégralité du dossier d’enquête relatif à cette affaire, et
il est apparent que lors de la mission d’enquête menée par la Cour, une large
partie de son contenu en avait été retirée avant sa consultation. La Cour a
invité à plusieurs reprises les autorités de communiquer tous les documents en
leur possession afin de s’assurer que le dossier était complet. Des documents
déterminants pour l’établissement des faits furent ainsi fournis à la dernière
minute.
La Cour considère que le Gouvernement turc n’a pas donné d’explication
convaincante au sujet des délais et de l’absence de réponse aux demandes
d’information et de production de documents qu’elle a faites. Eu égard aux
difficultés liées à une enquête sur place de cette nature et à l’importance de
la coopération du Gouvernement défendeur dans la procédure de la Convention, la
Cour estime que le Gouvernement turc ne lui a pas fourni toutes les facilités
nécessaires pour l’assister dans l’établissement des faits au regard de
l’article 38 § 1 (a).
Quant à l’appréciation des faits, la Cour considère que les déclarations de la
requérante relatives à la disparition de son mari sont cohérentes. Toutefois,
ses allégations selon lesquelles ce dernier aurait été arrêté par des policiers
en civil et détenu par des agents de l’Etat ne sont étayées par aucun élément ou
témoignage, et ne sont dès lors pas suffisamment prouvées.
Article 2 de la Convention
Quant à l’absence de protection du droit à la vie
La Cour réitère sa position selon laquelle les allégations de la requérante
concernant l’enlèvement et l’assassinat de son mari n’ont pas été suffisamment
prouvées. Il apparaît qu’aucun témoin ne peut confirmer ces affirmations et les
témoins cités par la requérante n’ont pas été retrouvés ou ont préféré garder
l’anonymat. Dans ces circonstances, la Cour considère qu’il n’est matériellement
pas possible de conclure au-delà de tout doute raisonnable, que M. Tekdağ a été
enlevé et tué par des agents de l’Etat ou des personnes agissant pour le compte
des autorités.
Quant à l’absence d’enquête effective et adéquate
La Cour note que des investigations ont effectivement été menées au sujet de la
disparition et la mort alléguée du mari de la requérante, mais il y eut
d’importantes lacunes dans la conduite de cette enquête. Ainsi, un manque de
coordination entre les différents procureurs ayant mené des investigations
résulte notamment de l’absence de transmission de documents et d’informations
relatifs à l’enquête. Par ailleurs, la Cour estime qu’en ne tenant pas compte
des indications fournies par la requérante et en ne prenant pas l’initiative
d’identifier les éventuels témoins de l’enlèvement, le ministère public n’a pas
approfondi les investigations. Dès lors, la Cour conclut à la violation de
l’article 2 sur ce point.
Article 3 de la Convention
La Cour rappelle qu’il n’a pas été démontré, au-delà de tout doute raisonnable,
que les autorités sont impliquées dans la disparition et le décès du mari de la
requérante. Par ailleurs, tant en ce qui concerne leur contenu que le ton
employé, aucune réponse donnée par les autorités aux interrogations de
l’intéressée ne peut être décrite comme constituant un traitement inhumain ou
dégradant. Selon la Cour, le manque de coordination dans la poursuite de
l’enquête et le fait que les investigations n’aient pas été approfondies ne
permettent pas de conclure à la violation de l’article 3 au regard de la
requérante.
Article 5 de la Convention
La Cour se réfère à la conclusion à laquelle elle est parvenue antérieurement,
selon laquelle il n’est pas démontré que les autorités turques aient été
impliquées dans la disparition ou le décès de M. Tekdağ. Par ailleurs, aucun
témoignage ne permettant d’établir que l’intéressé a été détenu à la prison de
Diyarbakır ou dans la base militaire de Silvan, la Cour estime qu’aucun élément
ne permet de conclure à la violation de l’article 5 de la Convention.
Article 13 de la Convention
Les autorités avaient l’obligation de mener une enquête effective sur les
circonstances entourant la disparition du mari de la requérante. Or, en
l’espèce, aucune enquête pénale ne peut être considérée comme ayant été conduite
conformément à l’article 13 dont les exigences sont plus larges que celles
imposées par l’article 2 de la Convention. Par conséquent, la Cour conclut à la
violation de l’article 13.
Article 14 combiné avec les articles 2, 3, 5, 10, 13 et 18 de la Convention
Au regard des éléments lui ayant été soumis, la Cour considère que les
allégations de la requérante ne sont pas fondées.
Article 18 de la Convention
La Cour a déjà examiné les allégations de la requérante sous l’angle des preuves
lui ayant été soumises et a conclu qu’elles n’étaient pas fondées. Elle
considère dès lors qu’aucune violation de cette disposition n’est établie.
Article 34 de la Convention
Le comportement du Gouvernement durant la mission d’enquête a déjà été examiné
par la Cour sous l’angle de l’article 38. Par conséquent, elle n’estime pas
nécessaire d’examiner les faits au regard de l’article 34.
Quant aux intimidations dont la requérante aurait fait l’objet de la part
d’agents de l’Etat, la Cour note que l’intéressée n’a pu identifier ou décrire
les personnes ayant fait une incursion de nuit dans sa maison. Alléguer qu’il
s’agissait de policiers en civil n’est qu’une supposition. En l’absence
d’élément de preuve sur ce point soumis par la requérante et eu égard à la
nature ambiguë de ses conclusions, la Cour estime que ces allégations ne sont
pas fondées.
Le juge Gölcüklü a exprimé une opinion partiellement dissidente dont le texte se
trouve joint à l’arrêt.
032
22.1.2004
Communiqué du Greffier
Arrêts de chambre
Violation de l’article 6 § 1
Dans les six affaires turques suivantes, les requérants ont été traduits devant
une cour de sûreté de l’Etat et condamnés à des peines d’emprisonnement en
raison de leur appartenance ou de l’aide et assistance qu’ils ont portées à des
organisations armées illégales. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès
équitable), les intéressés soutenaient que leur cause n’avait pas été entendue
par un tribunal indépendant et impartial, en raison de la présence d’un
magistrat militaire dans la composition des cours de sûreté de l’Etat. Ils se
plaignaient en outre de l’iniquité de la procédure ayant conduit à leur
condamnation et soulevaient d’autres griefs tirés de l’article 6 de la
Convention.
Güven et autres c. Turquie (no 40528/98)
Les requérants, Ahmet Güven, Ramazan Akdağ et Kadri Sönmez, sont des
ressortissants turcs nés respectivement en 1968, 1972, et 1964. Membres du PRK/Rızgari
(Parti pour la Libération du Kurdistan / Rızgari), ils détournèrent un véhicule
transportant des fonds pour une banque. Ils furent condamnés à la peine de mort
pour avoir porté atteinte à l’intégrité territoriale de l’Etat.
Irfan Kaya c. Turquie (no 44054/98)
Le requérant, Irfan Kaya, est un ressortissant turc né en 1959. Lors de
l’introduction de la requête, il résidait à Celle (Allemagne). Il fut condamné à
trois ans et neuf mois d’emprisonnement pour avoir hébergé des militants du PKK
(Parti des travailleurs du Kurdistan) et leur avoir fourni du matériel.
Jalaliaghdam c. Turquie (no 47340/99)
Le requérant, Sayed Samed Jalaliaghdam, est un ressortissant turc né en 1979. Il
fut condamné à deux ans et six mois d’emprisonnement en raison de son
appartenance à l’organisation illégale DHKP/C (Parti révolutionnaire de la
libération du peuple / Front).
Kırcan c. Turquie (no 48062/99)
Le requérant, Mustafa Kırcan est un ressortissant turc, né en 1977. Il fut
condamné à trois ans et neuf mois d’emprisonnement en raison de son appartenance
au THKP/C (Parti de la Libération du Peuple de Turquie/ Front).
Korkmaz c. Turquie (no 50903/99)
Le requérant, Ferhat Korkmaz, est un ressortissant turc né en 1974. Il fut
condamné à 12 ans et six mois de réclusion en raison de son appartenance à
l’organisation illégale TKP/ML (Parti communiste de Turquie / Marxiste
Léniniste).
Özertikoğlu c. Turquie (no 48438/99
La requérant, İsmail Özertikoğlu, est un ressortissant turc né en 1963. Il fut
condamné à 12 ans et six mois d’emprisonnement pour avoir porté aide et
assistance à l’organisation armée illégale DHKP/C, et à cinq ans et six mois
d’emprisonnement pour avoir lancé un cocktail molotov dans une banque.
La Cour rappelle que le fait pour des civils de devoir répondre d’infractions
réprimées par le code pénal devant une cour de sûreté de l’Etat composée
notamment d’un magistrat militaire constitue pour eux un motif légitime de
redouter un manque d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction. Dès
lors, la Cour conclut, à l’unanimité dans chacune de ces affaires, à la
violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Par ailleurs, elle rappelle qu’un tribunal dont le manque d’indépendance et
d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse, garantir un procès
équitable aux personnes soumises à sa juridiction. Par conséquent, la Cour
estime, à l’unanimité, qu’il n’y a pas lieu d’examiner les autres griefs tirés
de l’équité de la procédure.
Sur l’application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la
Cour estime, à l’unanimité dans chacune de ces affaires, que les présents arrêts
constituent en soi des satisfactions équitables suffisantes pour le préjudice
moral allégué par les requérants. Elle rappelle que lorsqu’elle conclut que la
condamnation d’un requérant a été prononcée par un tribunal qui n’était pas
indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1, en principe le redressement
le plus approprié serait de le faire rejuger en temps utile par un tribunal
indépendant et impartial. Dans les affaires Irfan Kaya c. Turquie, Jalaliaghdam
c. Turquie, Kırcan c. Turquie et Korkmaz c. Turquie, la Cour alloue aux
requérants 2 000 EUR pour frais et dépens, déduction faite des sommes déjà
perçues du Conseil de l’Europe au titre de l’assistance judiciaire. Dans
l’affaire Özertikoğlu c. Turquie, elle alloue au requérant 1 500 EUR pour frais
et dépens. (Ces arrêts n’existent qu’en français).
047
29.01.2004
Communiqué du Greffier
Arrêts de chambre
Violation de l’article 6 § 1
Dans les trois affaires turques suivantes, les requérants ont été traduits
devant une cour de sûreté de l’Etat et condamnés à des peines d’emprisonnement
en raison de leur appartenance ou de l’aide et assistance qu’ils ont portées à
des organisations armées illégales. Invoquant l’article 6 § 1 (droit à un procès
équitable), les intéressés soutenaient que leur cause n’avait pas été entendue
par un tribunal indépendant et impartial, en raison de la présence d’un
magistrat militaire dans la composition des cours de sûreté de l’Etat. Dans les
affaires Halil Doğan c. Turquie et Kalyoncugil et autres c. Turquie, les
requérants se plaignaient en outre de l’iniquité de la procédure ayant conduit à
leur condamnation et soulevaient d’autres griefs tirés de l’article 6 de la
Convention.
Halil Doğan c. Turquie (no 46503/99)
Le requérant, Halil Doğan, est un ressortissant turc né en 1981. Lors de
l’introduction de la requête, il était détenu à la prison d’Ankara. Il fut
condamné à 14 ans, cinq mois et dix jours d’emprisonnement en raison de son
appartenance à la bande armée TIKB (Union des communistes révolutionnaires de
Turquie).
Kalyoncugil et autres c. Turquie (no 57939/00)
Les requérants, Metin Murat Kalyoncugil, Ulaş Doğu Atlı et Ahmet Bahadır Ahıska
sont des ressortissants turcs nés en 1970. A l’époque des faits, ils résidaient
à Ankara. Déclarés coupables d’appartenir à la section de jeunesse de
l’organisation illégale « La Voie Révolutionnaire » (Devrimci Yol) et d’avoir
utilisé des engins explosifs, ils furent condamnés à huit ans et cinq jours
d’emprisonnement.
Tahir Duran c. Turquie (no 46503/99)
Le requérant, Tahir Duran, est un ressortissant turc né en 1972. Lors de
l’introduction de la requête, il était détenu à la prison de Bursa. Il fut
condamné à 12 ans et six mois d’emprisonnement, en raison notamment de son
appartenance au TDKP (Parti communiste révolutionnaire de Turquie).
La Cour rappelle que le fait pour des civils de devoir répondre d’infractions
réprimées par le code pénal devant une cour de sûreté de l’Etat composée
notamment d’un magistrat militaire constitue pour eux un motif légitime de
redouter un manque d’indépendance et d’impartialité de cette juridiction. Dès
lors, la Cour conclut, à l’unanimité dans chacune de ces affaires, à la
violation de l’article 6 § 1 de la Convention.
Quant aux autres griefs tirés de l’iniquité de la procédure, la Cour les déclare
irrecevables dans l’affaire Halil Doğan c. Turquie. Par ailleurs, dans l’affaire
Kalyoncugil et autres c. Turquie, elle rappelle qu’un tribunal dont le manque
d’indépendance et d’impartialité a été établi ne peut, en toute hypothèse,
garantir un procès équitable aux personnes soumises à sa juridiction ; elle
estime par conséquent qu’il n’y a pas lieu d’examiner ces griefs.
Sur l’application de l’article 41 (satisfaction équitable) de la Convention, la
Cour estime, à l’unanimité dans chacune de ces affaires, que les présents arrêts
constituent en soi des satisfactions équitables suffisantes pour le préjudice
moral allégué par les requérants. Elle rappelle que lorsqu’elle conclut que la
condamnation d’un requérant a été prononcée par un tribunal qui n’était pas
indépendant et impartial au sens de l’article 6 § 1, en principe le redressement
le plus approprié serait de le faire rejuger en temps utile par un tribunal
indépendant et impartial. Dans les affaires Halil Doğan c. Turquie et Tahir
Duran c. Turquie, la Cour alloue aux requérants 1 500 EUR pour frais et dépens.
Dans l’affaire Kalyoncugil et autres c. Turquie elle alloue aux requérants
conjointement 2 000 EUR pour frais et dépens. (Ces arrêts n’existent qu’en
français).
068
12.02.2004
Communiqué du Greffier
AUDIENCE
DOĞAN ET AUTRES c. TURQUIE
La Cour européenne des Droits de l’Homme tient ce jeudi 12 février 2004 à 9 h 30
une audience de chambre sur la recevabilité et le fond dans l’affaire Doğan et
Autres c. Turquie (requête nos 8803/02 à 8811/02, 8813/02 et 8815/02 à 8819/02).
Les requérants
L’affaire concerne les requêtes introduites par 15 ressortissants turcs - dont
Abdullah Doğan - vivant jusqu’en octobre 1994 à Boydaş, un village situé dans la
sous-préfecture de Hozat (département de Tunceli), dans le sud-est de la
Turquie, où eux-mêmes ou leurs pères étaient propriétaires de terrains (et dans
certains cas de maisons).
Résumé des faits
Les requérants affirment qu’en octobre 1994, les forces de sécurité de l’Etat
les auraient expulsés par la force de leur village en raison des troubles qui
secouaient alors la région, et auraient également détruit leurs biens. Les
requérants partirent avec leurs familles s’installer à Istanbul – ou, en ce qui
concerne l’affaire Doğan (no 8803/02), dans le village de Muratçık (département
d’Elazığ) –, où ils résident actuellement.
Entre 1999 et 2001, les intéressés firent des démarches auprès des autorités
administratives turques en vue d’être autorisés à retourner dans leur village et
à retrouver l’usage de leurs biens. En réponse aux demandes de cinq des
requérants, présentées en 1999 et 2000, les autorités compétentes les
informèrent que leurs requêtes seraient examinées dans le cadre du « projet de
retour au village et de réintégration », qui devait permettre la réinstallation
des villageois expulsés dans le cadre des affrontements entre les forces de
l’ordre et des présumés terroristes.
En 2001, les requérants réitérèrent leur demande initiale auprès du Premier
ministre, du préfet de la région soumise à l’état d’urgence et du préfet de
Tunceli. En réponse à leurs requêtes de 2001, trois des intéressés reçurent de
la part des autorités des lettres les informant que tout retour éventuel à
Boydaş était interdit pour des raisons de sécurité. Les autres requérants
n’eurent aucune réponse. Selon l’article 10 § 2 de la loi sur les procédures
administratives, une demande était réputée être rejetée à défaut de réponse de
l’autorité administrative dans un délai de 60 jours.
A l’heure actuelle, environ 1 500 requêtes similaires (par lesquelles des
requérants du sud-est de la Turquie se plaignent de l’impossibilité de regagner
leur village) ont été enregistrées par la Cour européenne des Droits de l’Homme.
Ce chiffre représente 25% du nombre total de requêtes introduites contre la
Turquie.
Griefs
Les requérants allèguent que les autorités turques refusent de les laisser
repartir dans leur village, en violation des dispositions suivantes : articles 1
(obligation de respecter les droits de l’homme), 6 (droit à un procès
équitable), 7 (pas de peine sans loi), 8 (droit au respect de la vie privée et
familiale), 13 (droit à un recours effectif), 14 (interdiction de la
discrimination) et 18 (limitation de l’usage des restrictions aux droits) de la
Convention européenne des Droits de l’Homme, et article 1 du Protocole no 1
(protection de la propriété) à la Convention.
Procédure
Les requêtes ont été introduites devant la Cour européenne des Droits de l’Homme
le 3 décembre 2001.
Composition de la Cour
L’affaire sera examinée par une chambre qui siégera dans la composition suivante
:
Georg Ress (Allemand), président,
Ireneu Cabral Barreto (Portugais),
Lucius Caflisch [1] (Suisse),
Pranas Kūris (Lituanien),
Riza Türmen (Turc),
John Hedigan (Irlandais),
Hanne Sophie Greve (Norvégienne), juges,
Margarita Tsatsa-Nikolovska (Macédonienne),
Kristaq Traja (Albanais),
Boštjan Zupančič (Slovène),
Alvina Gyulumyan (Arménienne), juges suppléants,
ainsi que Vincent Berger, greffier de section.
Représentants des parties
Gouvernement : Şükrü Alpaslan, co-agent, Burçe Arı, Işık Batmaz Keremoğlu, Jale
Kalay, Bekir Sıtkı Dağ, Keziban Kolbaşı Muratçavuşoğlu, Şahin Özyurt,
conseillers ;
Requérant : Mehmet Ali Kırdök, Özcan Kılıç, Hasan Kemal Elban, conseils, Ebru
Kanık, interprète.
Après les débats commenceront les délibérations de la Cour, qui se tiendront en
chambre du conseil. Une décision sur la recevabilité – et, le cas échéant,
l’arrêt – sera prononcé ultérieurement.
***
Greffe de la Cour européenne des Droits de l’Homme
F – 67075 Strasbourg Cedex
Contacts pour la presse : Roderick Liddell (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 24 92)
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Stéphanie Klein (téléphone : +00 33 (0)3 88 41 21 54)
Télécopieur : +00 33 (0)3 88 41 27 91
La Cour européenne des Droits de l’Homme a été créée à Strasbourg par les Etats
membres du Conseil de l’Europe en 1959 pour connaître des allégations de
violation de la Convention européenne des Droits de l’Homme de 1950. Elle se
compose d’un nombre de juges égal à celui des Etats parties à la Convention.
Siégeant à temps plein depuis le 1er novembre 1998, elle examine en chambres de
7 juges ou, exceptionnellement, en une Grande Chambre de 17 juges, la
recevabilité et le fond des requêtes qui lui sont soumises. L’exécution de ses
arrêts est surveillée par le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe. La
Cour fournit sur son site Internet des informations plus détaillées concernant
son organisation et son activité.