Cours Européenne des Droits de l'Homme : AFFAIRE MOTAIS DE NARBONNE c. FRANCE

DEUXIÈME SECTION

AFFAIRE MOTAIS DE NARBONNE c. FRANCE

(Requête no 48161/99)

ARRÊT

(Satisfaction équitable)

 

STRASBOURG

27 mai 2003

Cet arrêt deviendra définitif dans les conditions définies à l’article 44 § 2 de la Convention. Il peut subir des retouches de forme.

En l’affaire Motais de Narbonne c. France,

La Cour européenne des Droits de l’Homme (deuxième section), siégeant en une chambre composée de :

          MM.  A.B. Baka, président,
                   J.-P.
Costa,
                   L.
Loucaides,
                   C.
Bîrsan,
                   K.
Jungwiert,
          Mmes  W.
Thomassen,
                   A.
Mularoni, juges,
et de M. T.L.
Early,
greffier adjoint de section,

Après en avoir délibéré en chambre du conseil le 6 mai 2003,

Rend l’arrêt que voici, adopté à cette date :

PROCÉDURE

1.  A l’origine de l’affaire se trouve une requête (no 48161/99) dirigée contre la République française et dont des ressortissants de cet Etat, M. Marie Camille Victor André Augustin Oscar Motais de Narbonne, M. Marie Joseph Edouard Camille Roland Motais de Narbonne, Mme Marie Thérèse Arlette Motais de Narbonne, épouse Bernard, M. Marie Joseph Jean Claude Motais de Narbonne, Mme Marie Thérèse Victoria Hélène Motais de Narbonne, épouse Peyret-Forcade, M. Pierre Victor Marie Dupuy, et Mme Claudine Marie Hélène Dupuy, épouse Cadet, (« les requérants »), ont saisi la Cour les 16 mars 1998 en vertu de l’article 34 de la Convention de sauvegarde des Droits de l’Homme et des Libertés fondamentales (« la Convention »).

2.  Par un arrêt du 2 juillet 2002 (« l’arrêt au principal »), la Cour a jugé que le maintien d’un terrain en réserve foncière après expropriation, durant 19 ans, avait indûment privé les requérants, héritiers de l’ancienne propriétaire, de la plus-value engendrée par ce terrain ; elle en a déduit qu’ils avaient subi une charge excessive du fait de l’expropriation litigieuse et a conclu à la violation de l’article 1 du Protocole no 1 (paragraphes 21-23 des motifs et point 1 du dispositif).

3.  En s’appuyant sur l’article 41 de la Convention, les requérants réclamaient 13 032,26 euros (« EUR ») pour frais et dépens et 6 061 906,49 EUR pour dommage matériel.

4.  Dans son arrêt au principal, la Cour a fait droit à la demande des requérants relative au frais et dépens (paragraphe 30 des motifs et point 2 du dispositif).

Quant au dommage matériel, la Cour a jugé que la question de l’application de l’article 41 de la Convention ne se trouvait pas en état ; elle l’a en conséquence réservée et a invité le Gouvernement et les requérants à lui soumettre par écrit, dans les trois mois, leurs observations sur ladite question et notamment à lui donner connaissance de tout accord auquel ils pourraient aboutir (paragraphe 27 des motifs et point 3 du dispositif).

5.  Les parties ne sont pas parvenues à un tel accord.

6.  Tant les requérants que le Gouvernement ont déposé des observations.

EN DROIT

7.  Aux termes de larticle 41 de la Convention,

« Si la Cour déclare qu’il y a eu violation de la Convention ou de ses Protocoles, et si le droit interne de la Haute Partie contractante ne permet d’effacer qu’imparfaitement les conséquences de cette violation, la Cour accorde à la partie lésée, s’il y a lieu, une satisfaction équitable. »

8.  A titre liminaire, les requérants invitent la Cour à déclarer irrecevable des observations complémentaires et le document y annexé produits par le Gouvernement le 14 février 2003, soit après l’expiration du délai fixé par le Président de la chambre.

9.  La Cour estime qu’il n’y a pas lieu d’écarter lesdits documents, dès lors que les requérants ont eu la possibilité de les commenter par des observations du 10 mars 2003.

A.  Dommage matériel

1. Thèses des comparants

a) Les requérants

10.  Les requérants s’estiment en droit de réclamer, pour préjudice matériel, le payement d’un montant correspondant à la plus-value acquise par le terrain depuis la date de l’expropriation (valeur actuelle du terrain, diminuée de l’indemnité d’expropriation perçue, augmentée des intérêts légaux), augmentée d’une somme couvrant la privation de jouissance du terrain depuis l’expropriation. Ils soutiennent que tel est le mode de calcul pratiqué par les juridictions françaises dans le cadre de l’application de l’article L. 12-6 du code de l’expropriation pour cause d’utilité publique ; ils se réfèrent à cet égard à un arrêt de la cour d’appel de Rennes du 11 juin 1986 (Berrée et autres c. Commune de Montfort ; Recueil Dalloz Sirey – 1987, p. 246), au jugement rendu en leur cause le 19 mai 1992 par le tribunal de grande instance de Saint-Denis de la Réunion et à un autre jugement de cette dernière juridiction, du 17 mai 1994 (Chane Tou Ky c. Commune de Saint-Denis).

11.  Pour le calcul de la valeur actuelle du terrain, les requérants se réfèrent en premier lieu à un rapport d’expertise daté du 23 mars 1995, produit devant le tribunal de grande instance de Saint-Denis dans le cadre de la procédure Chane Tou Ky c. Commune de Saint-Denis, relative à un terrain voisin du fond litigieux, évaluant le prix au m2 à 564 francs (« FRF »), soit 85,98 EUR (après déduction du coût des travaux de viabilité) ; ils précisent que cette évaluation a été entérinée par un jugement du tribunal précité, du 5 décembre 1995. Ils se réfèrent ensuite à un rapport du même expert, daté du 23 février 1994, produit en leur cause devant le même tribunal : le prix au m2 du terrain dont il est question y est estimé à 540 FRF (82,32 EUR), après déduction du coût des travaux de viabilité. Ils produisent en outre des attestations de deux agences immobilières datées du mois de juillet 1995 ; selon la première agence, le prix au m2 des terrains constructibles situés dans le secteur de La Montagne à Saint-Denis de La Réunion variait entre 700 et 800 FRF (106,71 et 121,95 EUR) soit, après déduction du coût des travaux de viabilisation, entre 550 et 650 FRF (83,85 EUR et 99,09 EUR) ; selon la seconde, le prix au m2 de tels terrains variait entre 800 et 1 000 FRF (121,96 et 152,45 EUR), soit, après déduction du coût des travaux de viabilisation, entre 650 et 850 FRF (99,09 et 129,58 EUR). Ils produisent également un article paru le 22 septembre 1994 au Journal de l’Île, dont il ressort que le prix au m2 des terrains constructibles situés à La Montagne était de 800 FRF (121,96 EUR), soit 700 FRF (99,09 EUR) après déduction des frais de viabilisation.

Les requérants soutiennent que, depuis 1994, le prix des terrains à bâtir dans le secteur de La Montagne a considérablement augmenté en raison de la pression immobilière et de la loi relative à la défiscalisation dans les Départements d’Outre Mer. Ils produisent notamment deux brochures publiées par l’Agence pour l’Observation de la Réunion, l’Aménagement et l’Habitat (AGORAH), un organisme officiel financé par les collectivités publiques. Il ressort de la première, datée de mars 2001 et intitulée Le foncier et l’immobilier, que le prix au m2 y est supérieur à 1 000 FRF (152,45 EUR) ; la seconde, intitulée Le foncier et l’immobilier à l’île de la Réunion – Synthèse 2002, retient un prix supérieur à 150 EUR.

Les requérants produisent en outre une attestation datée du 30 août 2002 et signée par le cabinet d’expertises Daverio, évaluant le prix au m2 des terrains constructibles à La Montagne à 165 EUR. Relevant que le fonds dont il est question est situé dans ce secteur et offre une surface utilisable de 80 % – soit 36 632 m2 – et que le coût de viabilisation des terrains de ce type est de l’ordre de 23 EUR / m2, l’expert conclut que le profit à tirer d’une vente serait aujourd’hui de 4 991 110 EUR [(36 632 x 165) – (45 790 x 23)].

Les requérants invitent la Cour à retenir les chiffres fournis par l’AGORAH et l’expert Daviero, d’autant qu’ils se trouvent corroborés par des attestations signées par six notaires de la Réunion, également produites. Ils soulignent que tous ces professionnels sont unanimes pour affirmer que le prix au m2 des terrains constructibles dans le secteur de La Montagne dépasse 152,45 EUR en 2002.

12.  Selon les requérants, la plus-value à leur reverser serait de 4 691 288,52 EUR, cette somme correspondant à la différence entre la valeur actuelle du terrain [4 991 110 EUR] et le montant de l’indemnité d’expropriation perçue en 1983 [299 821,48 EUR].

13.  Les requérants réclament en sus la réparation du préjudice résultant de la perte de la jouissance du terrain pendant vingt années, laquelle devrait être assimilée à « la perte de la jouissance de sa valeur ». Le montant de cet aspect de leur préjudice correspondrait ainsi aux intérêts légaux courant sur une somme représentant la valeur du bien litigieux soit : 1) les intérêts calculés sur la somme de 1 966 700 FRF (299 821,48 EUR) pour la période allant de 1983 à 1994 ; 2) les intérêts courant de 1994 à fin 2002, calculés sur la somme correspondant à la valeur du terrain telle que déterminée par l’expert ; 3) les intérêts « sur le chiffre de la condamnation après 2002, jusqu’au parfait paiement ». Ils concèdent que, de ce montant, doivent être déduits les intérêts dus par eux pour la période allant de 1983 à 2002 sur le montant de l’indemnité d’expropriation.

b) Le Gouvernement

14.  Le Gouvernement conteste la thèse des requérants selon laquelle la Cour devrait leur allouer une satisfaction équitable correspondant à l’indemnisation qu’ils auraient perçue si les juridictions internes avaient fait droit à leur demande. D’une part, la Cour ne saurait spéculer sur ce que lesdites juridictions auraient octroyé aux intéressés à titre de dédommagement. D’autre part, la satisfaction équitable serait destinée à réparer les seuls préjudices subis en raison de la violation de la Convention constatée par la Cour. Or en l’espèce, la Cour aurait conclu à une violation de l’article 1 du Protocole no 1 au seul motif que les requérants se sont trouvés indûment privés de la plus-value engendrée par le bien exproprié. Il n’y aurait donc pas lieu de leur allouer une quelconque somme en réparation d’une prétendue perte de jouissance du terrain litigieux, d’autant moins qu’une indemnité compensatrice de 1 966 700 FRF – destinée à permettre le rachat d’un terrain similaire – avait été versée à l’ancienne propriétaire en 1983.

15.  Quant à la plus-value engendrée par le bien exproprié, le Gouvernement souligne qu’elle doit être calculée sur la valeur d’un terrain non équipé. Il estime ensuite que l’on ne peut, comme le font les requérants, calculer cette plus-value en retranchant de la valeur supposée du terrain en 2002 le montant de l’indemnité dans sa valeur de 1983 : l’évaluation doit être faite en francs/euros constants 2002, soit 397 500 EUR en l’occurrence (pour 1 966 700 FRF, valeur 1983).

Il souligne qu’en 1983, le bien a été exproprié au prix de 35,70 FRF le m2. Selon lui, le prix au m2 d’un terrain comparable était de 94,71 FRF en 1989. Il produit en outre un courrier du Directeur des Services fiscaux de la Réunion datée du 14 novembre 2002, attestant que la valeur actuelle du terrain litigieux est de 1 356 000 EUR (soit 30 EUR ou 198 FRF le m2) ; le Gouvernement retient cependant une somme supérieure (1 373 700 EUR), sans s’expliquer sur ce point.

L’évaluation des requérants (165 EUR le m2) serait donc excessive : ils entendraient en réalité obtenir le paiement du bénéfice qu’ils auraient pu faire sur ce terrain alors que seule la plus-value réalisée dans une période donnée donnerait droit à indemnisation.

Selon le Gouvernement, la plus-value du terrain serait de 976 200 EUR, ce qui correspondrait à la différence entre la valeur actuelle du terrain (1 373 700 EUR) et le montant de l’indemnité d’expropriation en francs/euros constants (379 500 EUR).

16.  Le Gouvernement souligne que, dans son arrêt au principal, la Cour n’a pas indiqué la date à partir de laquelle l’Etat aurait dû effectivement réaliser l’opération d’utilité publique à l’origine de l’expropriation. Or il existerait toujours un délai entre le moment où une collectivité locale constitue une réserve foncière et le moment où l’opération est effectivement réalisée ; la Cour aurait seulement condamné en l’espèce le caractère excessif de ce délai. Il conviendrait à cet égard de se référer au code de l’expropriation, dont il ressortirait que, lorsque la déclaration d’utilité publique ne porte pas sur la constitution d’une réserve foncière mais sur la réalisation d’une opération déterminée, le délai dont dispose l’expropriant pour réaliser l’opération est de dix ans ; dans les cas où la déclaration d’utilité publique peut porter sur la seule acquisition des terrains pour constituer une réserve foncière sans que le détail de l’opération soit connu, le délai accordé serait un peu plus long. Le Gouvernement en déduit qu’en l’espèce, il y a lieu de considérer que les autorités auraient dû réaliser l’opération d’utilité publique à compter de la douzième année ; le préjudice subi par les requérants consisterait ainsi en ce que le bien a été maintenu en réserve pendant sept ans. En conséquence, ils ne pourraient être indemnisés que pour la perte de la plus-value du terrain pendant cette durée.

17.  Le Gouvernement déduit de ce qui précède que la base de calcul de l’indemnité à verser aux requérants et de 7/19ème de la plus value précédemment calculée (7 ans sur les 19 ans de maintien du bien en réserve), soit 359 653 EUR [(976 200 ÷ 19) x 7] ; compte tenu de l’indemnité versée en 1983 – laquelle était destinée à permettre aux requérant d’obtenir, par un achat comparable, une plus-value équivalente –, les intéressés ne pourraient réclamer qu’une part de cette somme, cette part devant être fixée à un tiers.

Le Gouvernement propose en conséquence d’allouer aux requérants pour dommage matériel, la somme de 119 884 EUR [359 653 ÷ 3], arrondie à 120 000 EUR.

2. Appréciation de la Cour

18.  La Cour rappelle qu’un arrêt constatant une violation entraîne pour l’Etat défendeur l’obligation juridique de mettre un terme à la violation et d’en effacer les conséquences de manière à rétablir autant que faire se peut la situation antérieure à celle-ci (voir, par exemple, Brumărescu c. Roumanie (satisfaction équitable) [GC], no 28342/95, § 19, CEDH 2000‑I).

Les Etats contractants parties à une affaire sont en principe libres de choisir les moyens dont ils useront pour se conformer à un arrêt constatant une violation. Ce pouvoir d’appréciation quant aux modalités d’exécution d’un arrêt traduit la liberté de choix dont est assortie l’obligation primordiale imposée par la Convention aux Etats contractants : assurer le respect des droits et libertés garantis (article 1). Si la nature de la violation permet une restitutio in integrum, il incombe à l’Etat défendeur de la réaliser, la Cour n’ayant ni la compétence ni la possibilité pratique de l’accomplir elle-même. Si, en revanche, le droit national ne permet pas ou ne permet qu’imparfaitement d’effacer les conséquences de la violation, l’article 41 habilite la Cour à accorder, s’il y a lieu, à la partie lésée la satisfaction qui lui semble appropriée (ibidem, § 20).

19.  La Cour rappelle ensuite que seuls les préjudices causés par les violations de la Convention qu’elle a constatées sont susceptibles de donner lieu à l’allocation d’une satisfaction équitable (voir, par exemple, Gentilhomme et autres c. France, nos 48205/99, 48207/99 et 48209/99 (Sect. 2), arrêt du 14 mai 2002, § 24, non publié).

En l’espèce, la conclusion de violation de l’article 1 du Protocole no 1 à laquelle est parvenue la Cour se fonde exclusivement sur le constat que le maintien du terrain litigieux en réserve foncière après expropriation, durant 19 années, a indûment privé les requérants, héritiers de l’ancienne propriétaire, de la plus-value engendrée par ce terrain (arrêt au principal, paragraphes 21-23). La Cour n’a pas jugé la privation de propriété dont il est question, en tant que telle, incompatible avec les exigences de cette disposition. Il n’y a donc pas lieu d’allouer aux requérants une quelconque somme au titre d’une prétendue perte de jouissance du terrain.

En d’autres termes, les requérants ne peuvent aspirer, au titre de la réparation de leur préjudice matériel, qu’au payement de la plus-value susmentionnée.

20.  Selon la Cour, cette plus-value correspond à la valeur vénale actuelle du terrain, diminuée du montant en francs/euros constants de l’indemnité d’expropriation versée à l’ancienne propriétaire en 1983 (soit, d’après les affirmations non contestées du Gouvernement, 397 500 EUR) ainsi que des intérêts sur cette somme (valeur 1983, soit 1 966 000 FRF) durant dix-neuf années.

21.  La Cour entend, comme il se doit, procéder à une évaluation en équité.

22.  La Cour relève que le terrain dont il est question est sis à Saint-Denis de la Réunion, dans le secteur résidentiel fort prisé de La Montagne. D’une superficie de 45 790 m2, non équipé, il est inscrit en zone NAUb du Plan d’Occupation des Sols (« POS »), ce qui, d’après le règlement du POS, autorise divers types d’occupation ou d’utilisation du sols (opérations d’ensembles à usage d’habitation, commerces, équipements collectifs, bureaux, lotissements d’activités et établissements industriels etc.) .

La Cour estime qu’il peut être retenu que le prix actuel au m2 des terrains à bâtir dans ce secteur de Saint-Denis est de l’ordre de 150 EUR. Cela ressort sans conteste des documents produits par les requérants, en particulier des brochures publiées par l’AGORAH, de l’attestation du cabinet d’expertises Daverio du 30 août 2002 et des déclarations de notaires locaux.

Elle juge en outre opportun de déterminer la valeur actuelle du bien litigieux sur cette base et selon les modalités définies par ledit cabinet d’expertise, c’est-à-dire en prenant en considération la surface utilisable (80%, selon ledit cabinet, soit 36 632 m2) et le coût de la viabilisation de l’ensemble du terrain (soit, selon ledit cabinet, 23 EUR par m2).

Ainsi calculée, la valeur actuelle du terrain est de 4 441 630 EUR [(36 632 x 150) – (45 790 x 23)].

23.  Quant au taux des intérêts à calculer sur le montant de l’indemnité d’expropriation versée à l’ancienne propriétaire en 1983 (1 966 000 FRF), la Cour juge équitable de retenir un taux moyen de 5 % l’an.

Le capital cumulé sur 19 années à un tel taux se calcule ainsi : 1 966 000 x (1,05)19. Il est donc de 4 967 984,10 FRF, soit 757 364,29 EUR.

24.  La Cour estime en conséquence que la plus-value générée par le bien litigieux est de 3 286 765,70 EUR [4 441 630 – (397 500 + 757 364,29)].

Elle ne voit aucun fondement à la thèse du Gouvernement selon laquelle, en substance, il ne faudrait retenir que 7/19o de cette somme et diminuer ce qu’il en reste des deux tiers. Cette thèse repose en effet, en particulier, sur une idée de seuil temporel, en-deçà duquel la plus-value sans conteste enregistrée par le terrain litigieux ne serait pas indemnisable. Or, selon la Cour, ce serait confondre la notion de violation de l’article 1er du Protocole no 1 et celle de satisfaction équitable au sens de l’article 41 de la Convention ; la Cour ne procède jamais de cette manière, par exemple quand il s’agit d’allouer des sommes au titre de l’article 41 en cas de dépassement du délai raisonnable d’un procès

25.  En conclusion, la Cour alloue aux requérants, conjointement, 3 286 765,70 EUR pour dommage matériel.

B.  Frais et dépens

26.  Les requérants réclament 2 286,74 EUR pour les frais et dépens relatifs à la présentation de leurs mémoires et observations sur l’article 41 de la Convention.

27.  Le Gouvernement ne se prononce pas sur ce point.

28.  La Cour constate que les requérants ont omis de fournir les précisions et justificatifs requis par l’article 60 § 2 du règlement. Il y a donc lieu de rejeter cette partie de leurs prétentions.

C.  Intérêts moratoires

29.  La Cour juge approprié de baser le taux des intérêts moratoires sur le taux d’intérêt de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne majoré de trois points de pourcentage.

PAR CES MOTIFS, LA COUR, À L’UNANIMITÉ,

1.  Dit

a)  que lEtat défendeur doit verser aux requérants, conjointement, dans les trois mois à compter du jour où l’arrêt sera devenu définitif conformément à l’article 44 § 2 de la Convention, 3 286 765,70 EUR (trois millions deux cent quatre-vingt-six mille sept cent soixante-cinq euros et soixante-dix centimes) pour dommage matériel ;

b)  qu’à compter de l’expiration dudit délai et jusqu’au versement, ce montant sera à majorer d’un intérêt simple à un taux égal à celui de la facilité de prêt marginal de la Banque centrale européenne applicable pendant cette période, augmenté de trois points de pourcentage ;

 

2.  Rejette la demande de satisfaction équitable pour le surplus.

Fait en français, puis communiqué par écrit le 27 mai 2003 en application de l’article 77 §§ 2 et 3 du règlement.

     T.L. Early                                                                             A.B. Baka
   Greffier adjoint                                                                            Président