C’était l’un des nôtres…

Le 29 novembre 1990, Jean Groix était incarcéré, le 29 janvier 1991, il mettait fin à ses jours dans une prison française. Il est donc décédé il y a dix ans. Je ne l’ai pas connu et je sais peu de choses sur lui.

Je sais qu’il habitait Rezé et militait à l’UDB, et qu’à ce titre il avait réalisé des scores électoraux qui feraient encore des envieux. Je sais que ses enfants étaient scolarisés à Diwan. Bref, c’était l’un des nôtres.

Il avait été incarcéré dans le cadre d’une procédure « antiterroriste » pour avoir hébergé des militants basques. L’un d’eux était Peio Mariñelarena, qui décédera, lui aussi, en détention.

Je suis un peu gêné d’avoir à écrire ces lignes, ce triste « anniversaire » aurait dû amener d’autres qui l’ont connu à lui rendre un hommage plus vibrant.

A moins que certaines morts ne soient exploitables politiquement et que d’autres ne nous renvoient à nos échecs et doivent donc être condamnées à sombrer dans un confortable oubli ?

Il y a quelques années, nous nous étions rassemblés autour de sa tombe, par delà nos appartenance partisanes, pour honorer sa mémoire, pour ne pas oublier l’un des nôtres. Peut-être que ma situation actuelle me permet de mieux supputer quel était l’état d’esprit de ce camarade ?

Peut-être que seuls ceux et celles qui ont subi l’humiliation de six « fouilles intimes » en quelques heures peuvent deviner quel désarroi a traversé l’esprit de cet homme ?

Peut-être que seuls ceux et celles qui ont subi une campagne de presse calomnieuse savamment orchestrée par des médias complices de certains services juridico-policiers peuvent partager a posteriori une infime partie de son désespoir ?

Je n’ai qu’une certitude, il faut évoquer aussi cet échec tragique, ce moment de notre histoire collective où notre solidarité a fait défaut. Et ce, pour ne pas oublier que ceux et celles qui ont provoqué sa mort, en requérant et en ordonnant son placement en détention, n’ont pas eu de comptes à rendre, pas plus que ceux qui ont jugé son état de santé compatible avec la détention. Pas plus que ceux, d’ailleurs, qui sont responsable du décès en milieu carcéral de Peio Mariñelarena.

Ceux-là sont toujours en poste.

Il nous faut nous souvenir des nôtres, car il ne faut attendre ni excuses, ni regrets des « démocrates français »  de service, ceux-là, par leurs silences complices cautionnent l’existence d’une juridiction qui protège leur République à grands coups d’isolement carcéral, de maltraitances diverses, de destruction psychique, d’éloignement, de désespoir et de dizaines d’années d’enfermement.

C’était l’un des nôtres. Bien que dans la lutte pour la liberté, il n’y ait ni héros ni martyrs… juste des camarades, moi, je m’en souviens.

 

Gaël Roblin

Prisonnier politique breton

La Santé, 22.03.01

Lettre de Gaël Roblin paru dans Breizh Info du 4 avril 2001