50.000 pages de procédure

 

50.000 pages de procédure, des milliers de procès-verbaux, des vérifications en tous genres, des mois d'enquête pour les policiers de la Division nationale antiterroriste (DNAT), de la police judiciaire à Rennes et à Paris, sans parler du travail effectué en collaboration avec les services espagnols, ce dossier pèse lourd. Il porte sur 40 attentats ou tentatives commis entre 1993 et 2000 dont celui, meurtrier, de Quévert, mais aussi sur le vol spectaculaire de plus de huit tonnes d'explosifs perpétré conjointement par l'ARB et l'ETA-militaire à Plévin, dans les Côtes-d'Armor. Ces explosifs ont servi de l'autre côté des Pyrénées. 13 personnes ont été tuées dans des attentats de l'ETA, des dizaines d'autres blessées, mutilées à vie. Dans le climat actuel, compte tenu aussi des relations entretenues par Paris et Madrid, on imagine bien que le procès de l'ARB ne pourra faire complètement l'économie du versant espagnol des choses, même s'il n'a pas, semble-t-il, pesé directement sur l'instruction.

Ecoutes contestées

Les semaines passées, les avocats bretons (Maîtres Appéré à Brest, Omez à Quimper, Lorvellec et Choucq à Nantes, Leclerc et Pcholakian à Paris) ont fait le forcing auprès des autorités judiciaires. Tantôt, il s'agissait d'exiger la mise en liberté provisoire de leurs clients - ce fut le cas notamment, mais sans succès, pour Gaël Roblin - tantôt pour revendiquer copie intégrale du dossier. A d'autres occasions, des militants ont contesté le travail des médias et se sont montrés procéduriers du fond de leurs cellules. Une autre fois, les « méthodes » des juges Thiel ou Levert, sa collègue qui traitait dans un premier temps du seul vol des explosifs, ont été « dénoncées ». Comme par exemple la mise sur écoute des parloirs ou d'autres lieux où les détenus bretons étaient susceptibles de se rencontrer et de se faire des confidences. Or, ces « méthodes », outre qu'elles ne sont pas niées par l'instruction, n'ont pas été jugées illégales. Enfin, rien n'aura été négligé pour confondre les auteurs de certains des attentats : examens balistiques, pyrotechniques, tests ADN enfin.

Imprudence coupable

Ces tests ADN paraissent confondre le dernier militant arrêté en octobre 2001, Jérôme Bouthier, 27 ans. Son empreinte figure sur un sac plastique renfermant des explosifs déposés contre la Poste de Rennes, à quelques centaines de mètres de son domicile. L'engin raccordé à un minuteur défectueux n'a pas fonctionné. Ce type d'incident s'est souvent répété. Le 10 décembre 1999, à Callac, une bombe posée sur le rebord de la fenêtre de la perception aurait pu tuer le concierge qui est en train d'actionner un volet roulant. « A la différence des activistes du FLB ou de l'ARB, qui restaient sur place au cas où, la dernière génération ne prenait pas de précaution. Les gars posaient leur engin, rentraient chez eux, écoutaient la radio le matin pour savoir si ça avait pété ou pas », rapporte cet enquêteur qui renvoie aussi au souvenir des deux activistes de la première génération qui s'étaient tués avec leur engin, à Ty Vougeret et à Guingamp, peut-être en voulant le désamorcer. « Il y aurait pu avoir d'autres Quévert », poursuit ce policier tant, selon lui, l'équipe actuelle a fait preuve d'une désinvolture coupable.

Dérive gauchiste

Cette période, 1993-2000, comporte plusieurs séquences. Entre 1993 et 1996, un militant, Christian Georgeault, ranime la flamme de l'activisme breton, rejoint plus tard par des membres d'Emgann, parti indépendantiste de gauche, bien implanté à Nantes, Rennes, Fougères. Il entreprend une série d'attentats pour le compte de l'Armée révolutionnaire bretonne, l'ARB. Il devient un des acteurs majeurs de l'organisation au côté d'un ancien, Denis Riou, qui a bénéficié d'un élargissement pour avoir eu « le courage » de demander l'arrêt des attentats au lendemain de Quévert. Entre 1996 et 1998, l'ARB, qui a eu recours jusque-là à de l'explosif de carrière, observe une trêve. Au seiin d'Emgann, une dérive gauchiste a conduit, en 1998, à l'éviction de Yann Puillandre, militant charismatique du FLB. Les attentats reprennent et visent des cibles classiques. L'opération contre le dépôt de Titanite à Plévin, qui surviendra en septembre 1999, dope pour quelque temps le moral des activistes, à une nuance près. Les charges connaissent souvent des problèmes de minuteurs.

De nouvelles cibles

La radicalisation de l'ARB se traduit dans le choix de nouvelles
cibles, les ANPE (« complices de la précarisation du travail ») et les Mc Do (symboles d'une mondialisation uniformisante, en référence sans doute à José Bové). Survient l'attentat de Quévert, puis l'intervention maladroite de Gaël Roblin, qui tente de dédouaner l'ARB. Il se fait surprendre alors qu'il remet un communiqué à un journaliste de Canal +. Certains, dans les rangs de l'ARB, veulent au contraire continuer à poser des bombes, manière d'affirmer : « Vous voyez bien, Quévert, ce n'est pas nous; sinon, on aurait stoppé ». L'artificier Pascal Laizé avouera avoir confectionné des minuteurs après Quévert. La mort de la très jeune femme qui intervient pratiquement le jour de ses 28 ans (elle a les jambes arrachées par la charge) et alors que sa soeur Laeticia travaille dans les mêmes locaux, semble avoir mis un terme durable aux activités de l'ARB.

Les doutes de la PJ

A l'automne 2000, celle-ci rend un stock d'une centaine de kilos de dynamite plus un minuteur « Laizé » retrouvés dans un massif forestier du centre-Bretagne. Les 200 kg manquants (la « part » des Bretons après Plévin pouvait être estimée à 300 kg) ont vraisemblablement été jetés, l'explosif lui même ayant perdu ses qualités techniques. En dépit d'un procès qui pourrait marquer l'opinion bretonne, on n'exclut pas dans les rangs de la PJ bretonne une possible résurgence. La cause des « prisonniers politiques bretons » constitue un thème toujours propre à séduire. D'autant que les attentats de Cintegabelle (juin 1999) et de Belfort (octobre 1998) - parmi les plus spectaculaires - ne sont pas, eux, élucidés (1).

1. Plus un à la Baule, le 23 janvier 2000, pour lequel la PJ a une petite idée

Copyright © Le Télégramme 15/07/2002