Prisonniers politiques bretons : les interrogations se multiplient

Deux ans et demi après le vol des explosifs de Plévin, deux ans après l’attentat contre le Mac Do de Quévert, en Bretagne, huit militants bretons croupissent toujours en prison. Alors que la mobilisation se cantonnait, jusqu’à un passé récent, au mouvement breton, les questionnements, les protestations, l’indignation viennent maintenant de sphères élargies. Ainsi, de nombreuses personnalités politiques et culturelles (d’Alan Stivell à l’écrivain Denis Seznec en passant par le vice-président du Conseil régional Jean-Yves Cozan) ont-elles signé un " Appel à une justice égale pour tous ", sur le thème : " Qu’on les juge ou qu’on les libère ". Lors de la " Nuit celtique " organisée au Stade de France en mars, les artistes, parmi les plus connus de Bretagne et du monde celtique, ont refusé de recevoir les ministres après le spectacle, " tant que le statut de Diwan n’est pas réglé et que des prisonniers politiques demeurent incarcérés ". L’Union Démocratique Bretonne (UDB), notoirement hostile à la violence sous toutes ses formes, a interpellé (sans beaucoup de réponses) tous les parlementaires des cinq départements bretons.

Sur le terrain, l’association de soutien aux familles et aux prisonniers Skoazell Vreizh et la Coordination anti-répressive de Bretagne (Carb) multiplient rassemblements, interventions auprès des élus et des autorités administratives et gouvernementales, dénonciation auprès de la presse. Ces derniers mois ont vu apparaître un nouveau mouvement de soutien aux prisonniers, le Front de libération des prisonniers politiques bretons (FLPPB), qui cadenasse et tague gendarmeries, bâtiments administratifs et locaux politiques, kidnappe (pour la juger) la Marianne de la mairie de Morlaix…

Ce qui scandalise l’opinion publique bretonne, c’est la longueur inexpliquée des détentions provisoires de ces huit hommes, presque tous en charge de famille et parfaitement insérés dans la société. A chaque courrier, chaque interpellation faite aux politiques, la réponse met en avant la mort de Laurence Turbec, l’employée du Mac Do de Quévert. Mais aucun des inculpés bretons n’est accusé d’avoir commandité ou réalisé cet attentat, c’est la tactique de l’amalgame qui joue à plein, sans doute pour dissimuler, justement, la faiblesse de l’accusation et le piétinement des enquêtes.

Tout est bon, pour les magistrats, pour s’opposer à la libération des inculpés bretons, dont trois sont gravement malades. Un avocat dépose en appel une demande de libération, arguant de ce que son client n’a pas été convoqué depuis plusieurs mois ? Le juge envoie aussitôt une convocation pour le lendemain du jugement… et l’annule une fois la détention prolongée. Il n’y a pas de véritable accusé dans l’affaire de Quévert ? On regroupe dans le même dossier tous les actes attribués à l’Armée républicaine bretonne (ARB) depuis 1993, qui n’ont fait aucune victime et seulement de faibles dégâts matériels, ce qui donne de la consistance au dossier, ne serait-ce que par le nombre de inculpés.

Le cas de Gaël Roblin, porte-parole du mouvement indépendantiste Emgann, incarcéré en mai 2000, soulève particulièrement l’indignation. Le juge d’instruction Thiel l’a inculpé dans le dossier de Quévert, alors que la seule charge retenue contre lui est la réalisation d’une disquette signée de l’ARB, postérieure à l’attentat, disquette qui aurait été remise à un journaliste parisien. En aucun cas, Gaël Roblin n’est soupçonné d’avoir participé à l’attentat. Le procureur de la République lui-même met en doute la réalité de la qualification criminelle à laquelle s’accroche le magistrat instructeur. La divergence est importante car si on retire cette accusation criminelle, Gaël Roblin ne relève plus que du délit d’association de malfaiteur. Dans le premier cas, la détention provisoire peut aller jusqu’à quatre ans, dans le second cas, elle ne peut dépasser deux ans. Deux ans que Gaël Roblin a dépassés le 6 mai. Le tribunal d’appel devra donc trancher prochainement entre les positions des deux magistrats. Peut-on imaginer qu’un juge " antiterroriste " soit désavoué par ses confrères ?

A noter que le 17 juin prochain, le tribunal administratif de Rennes examinera une plainte déposée par cinq Bretons contre l’Etat français pour saisies et gardes à vue abusives : des dizaines de personnes avaient été interpellées " comme simples témoins " en 1999 et 2000 et nombre d’entre elles s’étaient vu saisir leur matériel informatique, d’usage professionnel ou privé. Un militant nantais, diabétique, avait dû, lors d’une deuxième garde à vue, être transféré en urgence à l’hôpital. Des dommages et intérêts sont réclamés, mais il s’agit avant tout de dénoncer les lettres de cachet que s’autorisent, sous prétexte d’ " antiterrorisme ", les superflics et superjuges de l’Etat français.

paru dans Jakilea juin 2002